La faim, traduit par Michelle Herpe-Voslinsky
Blog littéraire ou nécrologie permanente? Après Juan Goytisolo, hier, voici Helen Dunmore dont on apprend la disparition - dans une phrase bancale, mais que je ne redresserai pas, un peu fatigué peut-être d'avoir à saluer une dernière fois des talents si divers, en si grand nombre, en si longue absence désormais...
La Britannique Helen Dunmore avait 64 ans seulement, une carrière littéraire bien remplie, notamment par quelques romans dont deux m'avaient séduit, il y a 100 ans - le premier était alors réédité en poche, le second paraissait en français pour la première fois.
Helen Dunmore prend la guerre comme décor. En 1941,
Leningrad est encerclée par les Allemands. Plus rien ne passe, sinon avec
beaucoup de chance. Plus de nourriture, en particulier. La faim commence à
ronger les organismes. Puis à détruire les esprits. Comment on vit dans cette
situation, voilà le vrai sujet du livre. Tout est vu à travers le prisme d’un
manque insupportable. La réalité prend des couleurs nouvelles, criardes.
Poussés à bout, les individus sont jetés les uns contre les autres dans un
complet désespoir. Si certains s’opposent, d’autres se réunissent. Une romance naît.
Forte comme le sont les histoires d’amour en temps de crise. Quand le temps est
compté. Quand l’horreur est quotidienne. Un magnifique hymne à l’humain.
Les petits avions de Mandelstam, traduit par Françoise du Sorbier
Rebecca vient de nulle part, ou presque : bébé, elle a été
trouvée, à l’arrière d’un restaurant, dans une boîte à chaussures qui est le
seul souvenir de sa vie d’avant. Et encore : ce souvenir, elle l’imagine
comme une belle histoire à se garder au chaud, pour soi-même et quelques
proches. Il n’y a pas beaucoup de proches, d’ailleurs, depuis que sa fille Ruby
est morte quand elle avait cinq ans, une enfant rayonnante qui courait sur la
rue quand une voiture passait. Une histoire moche à se garder au frais, et qui
resurgit aux moments les moins opportuns, comme sur cette piste d’aéroport où
l’avion de Rebecca se pose en catastrophe : Ruby se trouve dans un camion
de pompiers…
Rebecca est-elle devenue folle suite à un deuil mal accepté,
suite à ses origines inconnues ? Pas du tout ! Elle peut avoir, avec
son patron, un étonnant vieux bonhomme qui donne à ses hôtels des noms de
poètes, des conversations d’une rare profondeur, qui draguent la vie en y
ramassant les fragments scintillants de bonheurs passés. Et si sa relation avec
Adam, le père de Ruby, a souffert de la perte de leur enfant, il ne faut y voir
que les conséquences d’une souffrance bien naturelle.
Femme blessée mais femme forte, Rebecca sera le moteur d’un livre
auquel travaille Joe, son ancien colocataire devenu romancier à succès quand il
s’est intéressé à Staline. A la quête des origines, Helen Dunmore fait, comme
souvent, le détour par la Russie, et pas seulement par le titre. Si « Les
petits avions de Mandelstam » se génèrent en vol les uns les autres à la
manière dont les récits s’emboîtent (et se déboîtent) ici, les rapports entre
les personnages passent aussi par une profonde curiosité pour un pays qui fait
naître attirance et répulsion – un riche bouillonnement dans lequel il est
nécessaire de se situer.
Démonter ce roman est un peu absurde : chaque événement
semble découler naturellement du précédent, si bien que l’on est déjà au bout
alors même qu’on pensait à peine commencer à démêler les enjeux.