Lorsqu’en 2001, fut exposée l’œuvre érotique de Picasso, à l’initiative, notamment, de Jean-Jacques Lebel, certains se récrièrent. Certes, comme l’avait souligné Jean Clair, l’ensemble de son œuvre était érotique, mais les séries réalisées par le maître dans les dernières années de sa vie scandalisèrent les plus ardents « picassolâtres ». Ces dessins ne pouvaient relever que de l’obsession libidineuse d’un vieillard sénile et ne pouvaient venir « entacher » le reste de sa production. On avait pourtant eu raison de les présenter au public. Ils exprimaient une belle vitalité.
Tel est aussi le cas des dessins érotiques que Rodin exécuta à l’automne de sa vie. A la fin des années 1890, l’artiste se consacra en effet à cette discipline graphique ; il faisait évoluer ses modèles dans son atelier pour saisir leurs mouvements au vol ; la main courrait sur le papier, reproduisait « à l’aveugle » ce que les yeux voyaient, dans un élan de spontanéité, de vivacité tout à fait inédit. Le maître s’attachait à immortaliser l’éphémère dans une série « d’instantanés du nu féminin ». Parmi ces milliers de feuillets, il en isola 121 qu’il classa dans un carton étiqueté « Musée secret », par référence au cabinet d’érotiques du musée archéologique de Naples – et, peut-être, au poème qu’écrivit Théophile Gautier lors de son voyage en Italie de 1850, qui était un hymne au sexe féminin et à sa pilosité. Judith Cladel, biographe du sculpteur, découvrit ce dossier lorsqu’elle fut chargée d’inventorier ses dessins après décès.
Ceux-ci sont aujourd’hui réunis intégralement et pour la première fois dans un remarquable ouvrage de Nadine Lehni, préfacé par Catherine Chevillot, Rodin, son musée secret (Albin-Michel / Musée Rodin, 272 pages, 35 €). Ils n’étaient, auparavant, connus que de rares spécialistes et amateurs. Quelques-uns avaient été publiés, notamment dans un ouvrage en 1996 par Claudie Judrin, d’autres montrés dans l’exposition « Rodin, les figures d’Eros » en 2006. C’est ici l’ensemble de ces œuvres singulières qui est proposé, dans des reproductions d’une très belle qualité.
Dans sa maison de Meudon, à l’abri des regards, le sculpteur se livre à une véritable cartographie du corps féminin dont le sexe est l’épicentre, mais qui aborde aussi, comme le précise l’auteure, « très souvent de manière explicite, les domaines interdits de l’autoérotisme et de l’homosexualité féminine. » Ces nus, d’une puissance intense et transgressive, sans s’encombrer de discours narratif, présentent des formes très variées : de simple et nerveux croquis à la mine, des dessins rehaussés d’aquarelle, très synthétiques ou plus travaillés, parfois assortis, a postériori, d’un titre, se succèdent. Le corps est représenté debout, en mouvement, mais aussi comme en apesanteur dans des postures acrobatiques, ou bien couché, cuisses écartées ou croupe offerte. Ici, les mains s’égarent sur le sexe, s’y attardent, ailleurs, deux femmes s’enlacent, s’étreignent, leurs visages ne sont qu’esquissés ou peu apparents dans le meilleur des cas – la majorité reste anonyme, tendant ainsi vers l’universalité. L’exploration du corps désirant, de la sexualité féminine est à l’œuvre, sans aucune concession à l’académisme bien sûr ; et, comme dans les toiles érotiques de Gustave Courbet, l’homme reste toujours le grand absent.

Lorsqu’en 2001, fut exposée l’œuvre érotique de Picasso, à l’initiative, notamment, de Jean-Jacques Lebel, certains se récrièrent. Certes, comme l’avait souligné Jean Clair, l’ensemble de son œuvre était érotique, mais les séries réalisées par le maître dans les dernières années de sa vie scandalisèrent les plus ardents « picassolâtres ». Ces dessins ne pouvaient relever que de l’obsession libidineuse d’un vieillard sénile et ne pouvaient venir « entacher » le reste de sa production. On avait pourtant eu raison de les présenter au public. Ils exprimaient une belle vitalité.
