[ Après la session -historique - du Comité Central du PCF à Argenteuil (mars 1966)consacrée à la culture, les réflexions de Roger Garaudy, membre du Bureau Politique du parti.
Lire aussi: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/01/pcf-argenteuil-1966-althusser-garaudy.html et http://rogergaraudy.blogspot.fr/2014/06/les-intellectuels-et-le-pcf-argenteuil.html]
Les débats du Comité Central du Parti Communiste français du 13 mars dernier sur les problèmes de la culture ont suscité des commentaires passionnés. La publication in extenso des interventions faites au cours de ces trois journées, dans le numéro spécial des Cahiers du Communisme de mai 1966 permet de mesurer 1’importance des décisions prises et de préciser leur signification.
Roger Garaudy avec le Président Ahmed Ben Bella
Alger,17/03/1965
Garaudy arrive à Alger le 10/03/1965
2/De cet humanisme découle la conception spécifiquement marxiste de l'athéisme. ALa différence de l'athéisme du XVIIIe qui, dans sa lutte légitime contre la consécration religieuse des absolutismes anciens, ne voyait dans la religion qu'illusion et tromperie, à la différence de l'athéisme du XIXe siècle qui, dans sa lutte contre les superstitions et les explications pré-scientifiques se fondait sur une conception positiviste et scientiste de la raison, l'athéisme spécifiquement marxiste est une conséquence de l'humanisme. Marx soulignait que le marxisme ne se définissait pas d'une manière négative, par la négation de Dieu mais par l'affirmation de l'homme. Cette affirmation de l'homme conduit à une prise de position à l'égard de la religion.a) Sur le plan historique : une lutte de classe, contre les solidarités de fait des institutions religieuses avec les forces réactionnaires qu'elles contiennent et justifient, par exemple en donnant une consécration religieuse à tous les régimes de classe (esclavage, servage, salariat). C'est ce que Marx, se fondant sur une expérience historique irrécusable et aujourd'hui encore très largement vérifiée, résumait dans cette formule lapidaire : "La religion, c'est l'opium du peuple.
b) Sur le plan philosophique : une lutte idéologique contre la oonception traditionnelle de la transcendance en levant à l'homme la pleine autonomie de son action. La libération de l'homme implique la lutte contre cette double aliénation, politico-sociale ou idéologique. Cet humanisme concret n'exclut nullement le dialogue mais au contraire le fonde. Il n'implique aucun sectarisme. Déjà Marx et Engels avalent répudié toute tentative de faire de l'athéisme une religion d'état. Lénine a toujours refusé d'inscrire l'athéisme dans les statuts du Parti. Maurice Thorez, et c'est l'un de ses plus grands mérites à l'égard de notre pays et de notre Parti, a dégagé le sens profond de ce que notre résolution appelle la "convergence morale". Il écrivait le 26 octobre 1937 (Œuvres,t.XIV, p.164-165) : "Le matérialisme philosophique des communistes est loin de la foi religieuse des catholiques. Cependant, aussi opposées que soient leurs conceptions doctrinales, 11 est impossible de ne pas constater, chez les uns et chez les autres, une même ardeur généreuse à vouloir répondre aux aspirations millénaires des hommes à une vie meilleure :la promesse d’un rédempteur illumine la première page de l'histoire humaine, dit le catholique. L'espoir d'une citénouvelle, réconciliée dans le travail et dans l'amour soutient l'effort des prolétaires qui luttent pour le bonheur des hommes, affirme l e communiste". Waldeek Rochet, dans ses conclusions au Comité Central, après avoir repris notre argumentation historique et philosophique fondamentale, a donné du sectarisme en matière de religion une définition d'Importance capitale pour 1'avenir : "Nous rejetons, dit-il, toute interprétation sectaire et bornée du fait religieux... nous ne nous représentons pas la pensée religieuse d'une manière unilatérale en ne voyant en elle que l'aspect par lequel elle est un frein et un obstacle au progrès humain.» Reconnaître ainsi, comme l'avait fait Maurice Thorez, que le christianisme a joué, et peut jouer encore, un rôle positif et progressif, dans l'institution de rapports humains plus justes et par son apport à la culture, c'est donner au dialogue le seul fondement théorique valable, en ouvrant la possibilité d'un enrichissement mutuel des deux interlocuteurs, chacun avant quelque chose à apprendre de l'autre.
Conférence salle Ibn Khaldoun
Alger, 11/03/1965
4. Cette réflexion sur le sens de la "pluralité" est le fondement théorique du dialogue. Il n'y a de dialogue réel que si l'on est convaincu que l'on ne possède pas tout seul la vérité et que l'on a quelque chose à apprendre des autres. II en est ainsi de la thèse développée avec force par Waldeck Rochet sur la possibilité de la construction du socialisme avec plusieurs partis qui ne soient pas des satellites artificiels de l'un d'entre eux. Le fait que le socialisme s'est construit dans certains pays sous la direction d'un parti unique est le résultat de conditions historiques déterminées (notamment, l'appel fait par d'autres partis à l'intervention étrangères pour appuyer la contre-révolution), mais cela ne découle nullement des principes. Lénine lui-même, en décembre 1917 encore, considérait cette pluralité comme possible. La thèse de la possibilité de la construction du socialisme avec plusieurs partis n'implique nullement l'abandon de la lutte de classes ou des perspectives de la classe ouvrière, mais simplement renonce à la prétention de conférer à la classe ouvrière et à son Parti le privilège métaphysique d'être détenteurs de la vérité totale et exclusive, et cela permet d'ouvrir concrètement la perspective d'une construction du socialisme avec des partis , des mouvements ou des hommes décidés à réaliser le socialisme mais no partageant pas notre conception du monde ni notre philosophie. Il serait paradoxal que ce dialogue, dont le Parti communiste français, en pratiquant systématiquement la méthode du débat contribue à faire le style même d'une politique démocratique en France, ne se réalise pas à l'intérieur même du Parti. La publication des discussions du dernier Comité Central apporte l a preuve qu'il en est ainsi. Des positions différentes notamment sur les problèmes de la culture et de l a religion ont été défendues avec passion sans que l'affrontement se termine par des excommunications. Par exemple, mon livre « De l'anathème au dialogue » a été critiqué et j'ai pu tirer profit de certaines critiques. La résolution finale rejette la thèse que j'avais autrefois avancée sur la possibilité de "convergences philosophiques", mais retient l'idée de "convergences morales" entre chrétiens et marxistes. Autre exemple : les conceptions de notre camarade Althusser sur l'humanisme n'ont pas été retenues et l'on a souligné le danger doctrinaire de la séparation de la théorie et de la pratique à laquelle peut conduire sa méthode, sans que ces critiques mettent en cause le respect de chacun pour sa personne et même pour l'apport de ses recherches à la tâche commune. Cette diversité d'orientation sur des problèmes ouverts ne compromet nullement l'unité profonde du Parti mais au contraire la renforce en la rendant plus riche, symphonique. Cette ouverture du Parti Communiste français donne un élan nouveau au dialogue à l'extérieur, notamment avec les socialistes et avec les chrétiens. Elle constitue une contribution éminente à la réalisation de l'unité de la classe ouvrière et de l'union des forces démocratiques et nationales pour la construction, avec des socialistes, des chrétiens, des démocrates, de l'avenir démocratique et socialiste de la France.
Roger Garaudy
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