En ce dimanche des mères de 1924., la coutume veut que les aristocrates donnent congés à leurs bonnes pour que ces dernières rendent visite à leurs mères. Jane, jeune femme de chambre orpheline ne sait pas vers où vont diriger ses pas quand son amant Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille lui demande de le rejoindre dans sa demeure désertée. Le jeune homme doit prochainement se marier, et leur longue liaison risque alors de prendre fin. Elle le rejoint alors, et les heures s'étirent délicieusement jusqu'au départ de Paul qui doit rejoindre sa fiancée.
Portait d'une âme en errance qui se construit au fil des pages, ce roman magnifique chante les miracles de la création. Jane a grandi dans un orphelinat puis a été placée comme domestique dans une famille qui lui ouvre par chance les portes de la bibliothèque familiale. Les livres sont une découverte pour elle, elle n'aura de cesse de se plonger dans les romans d'aventure, puis par la suite, elle transmuera ses expériences en oeuvre littéraire, comme une évidence. Les frontières entre récit et réalité s'estompent alors :
"Pouvait-elle faire la part des choses et séparer ce qu'elle avait vu en imagination de ce qu'elle avait réellement vécu ? (...) Le propre de l'écrivain n'était-il pas de saisir la vie à bras-le-corps ? N'était-ce pas là tout l'intérêt de la vie ?" p. 63
Jane fait " commerce des vérités" et transforme dans sa mémoire littéraire l'après-midi passé aux côtés de Paul en bijou parfait aux contours ciselés. Là est la force de la création, inscrire ces quelques heures dans l'éternité pour que cet instant résonne dans l'âme et bouleverse à jamais l'ordre des choses.
Le dimanche des mères, Graham Swift, traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard, janvier 2017, 144 p., 14.50 euros