Pour ceux que la polémique intéresse, je renvoie à cette page d'articles sur le sujet, parus dans la presse ou non. Au lieu, donc, de m'enfoncer dans un terrain d'érudition que je ne connais que trop peu, je voudrais simplement insister sur les implications idéologiques d'un tel débat.
Le féminisme, d'abord: il s'agit de l'oeuvre d'une femme, à une époque où bien peu avaient accès à l'écriture. La proposition de Mme Huchon est de dire que cette femme de condition relativement modeste, une courtisane selon certains témoignages, n'a pas eu accès, sinon à l'écriture, du moins à une écriture poétique complexe et aux références littéraires très savantes qui jalonnent ces poèmes. Ce qui est une manière à la fois de stigmatiser le vilain patriarcat du XVIe siècle, et de refuser toute possibilité, pour une femme "de condition modeste", d'avoir eu le cran et surtout les compétences littéraires pour écrire une oeuvre d'exception. Alors que le point de vue "traditionnel" considère l'oeuvre de Louise Labé comme un exemple précurseur d'oeuvre "féministe", dans le sens où elle parle d'amour, et d'amour féminin en particulier, avec une liberté inhabituelle dans les écrits des femmes de l'époque. Redécouverte de la poétesse grecque Sappho, et tout ça.
On voit bien comment l'argument se mord la queue. Prétexter de l'artificialité d'un texte par l'hypothèse d'une écriture collective qui inventerait un auteur de papier, c'est prendre l'hypothèse pour la preuve. D'autre part, c'est confondre deux niveaux de lecture. La lecture stylistique, qui considère le texte en lui-même, et la lecture "génétique", qui le considère dans ses circonstances de création. Un texte peut être stylistiquement simple, et être le fruit d'une très longue maturation et trituration des mots; il peut à la fois dire des choses de manière très spntanée, et faire des références implicites à la littérature savante. Nier la simplicité d'un texte sous prétexte qu'il serait composé à plusieurs mains n'a donc pas de sens.
En bref, ce n'est pas parce que les poèmes de Louise Labé sont extrêmement construits, qu'ils ne sont pas issus d'un être de chair et de sang, qui a donné le plus intime de son être à travers les mots. A quoi bon vouloir prouver que l'oeuvre de Louise Labé n'est pas la sienne? Cela n'est-il pas symptomatique d'un certain aveuglement de l'histoire littéraire, qui oublie que derrière le papier, il y a des hommes?
Baise m'encor, rebaise moy et baise
Donne m'en un de tes plus savoureus,
Donne m'en un de tes plus amoureus :
Je t'en rendray quatre plus chaus que braise
Las, te pleins tu ? ça que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l'un de I'autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.
Permets m'Amour penser quelque folie :
Tousjours suis mal, vivant discrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
En clair, pourquoi se perdre dans l'histoire des textes, alors que les textes eux-mêmes nous disent qu'il n'existe qu'un auteur derrière eux? un auteur qu'on appelle Louise Labé, parce que c'est son nom qui apparaît dans la page de titre, un point c'est tout. Le navire fantôme de Mireille Huchon risque en tout cas d'appareiller sans Louise Labé, dont la poésie est l'indice d'une sensibilité toute charnelle, bien éloignée des spectres empoussiérés de l'érudition.