«Civilisaction». Le prétexte du livre? Redonner au mot «civilisation» un sens précis, sinon une tentative de conceptualisation. Il écrit ainsi: «Une culture est célibataire, une civilisation fait des petits.» Voire: «Une civilisation agit, elle est offensive. Une culture réagit, elle est défensive. Ce serait “civilisaction”, le terme exact.»
Ou encore: «Le métabolisme est le propre d’une civilisation vivante, elle se transforme au fur et à mesure de ce qu’elle absorbe et stimule chez les autres. Qui la naturalise l’empaille, alors qu’elle se nourrit d’emprunts et d’échanges.» Une civilisation, «ce sont des routes, des ports et des quais», assurait l’historien Charles Seignobos. Pour Debray, «ce sont aussi un décomptage du temps, un marquage de l’espace, un plat de résistance, une couleur de prédilection et un couvre-chef en signe de reconnaissance». Seulement voilà, la nouvelle civilisation dominante confondrait communiquer et transmettre, notion chère au philosophe: «Qu’est-ce que communiquer? Transporter une information à travers l’espace. Qu’est-ce que transmettre? Transporter une information à travers le temps. La communication a rongé, harcelé, puis finalement phagocyté la transmission, comme l’esprit d’Amérique, l’esprit d’Europe.» D’où l’importance de ne pas méconnaître les rouages de la civilisation états-unienne et ses règles du jeu. Certains rétorqueront à Régis que les métamorphoses actuelles sont moins le propre d’une hégémonie américaine qu’un décentrement du monde, ou pour être plus précis encore, d’une globalisation de la gouvernance mondiale. À moins que ce ne soit le même sujet… Il répond à sa manière: «La vraie question est de savoir ce qui peut et va survivre de ce qui nous entoure et nous sustente. (…) S’effondrer est grand, décliner est bas. (…) Qui a dit que sortir de l’histoire oblige à broyer du noir?» Restent donc nos héritages et la transmission, cette «longue aventure où le sourire finit par l’emporter sur les larmes d’un instant». Décadence? Résistance? Libération?
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 2 juin 2017.]