Les photos de couple (il y en a deux seulement dans l’expo) témoignent de la même aspiration, de ce même désir : cette tendresse que, vieux garçon chaste, il n’aura jamais connue, cette nostalgie du bonheur,
La figure de Tichy en évoque bien d’autres, l’artiste maudit, rebelle, marginal, l’artiste sériel, obnubilé par son processus et se désintéressant du produit fini, l’artiste flâneur, marcheur*, et aujourd’hui l’artiste redécouvert par le système de l’art.
Ne manquez surtout pas de voir la vidéo d’une trentaine de minutes tournée par Roman Buxbaum, son ‘découvreur’ : vous n’êtes pas prêt d’oublier certains de ses aphorismes.
Je pourrais bien sûr vous parler de lui pendant des heures (et je serais heureux d’avoir vos commentaires sur l’expo, en ligne ou par e-mail, ça me sera très utile). Je finirai avec une photo, la dernière à gauche avant de sortir.
C’est une femme blonde couchée, les seins nus : baigneuse morave audacieuse ou actrice autrichienne à l’écran ? La photo elle-même est un peu floue, et, au tirage sans doute, des accidents divers sont advenus : des flots noirs entourent le corps féminin, le portent, le caressent; l’épaule droite semble avoir disparu, et deux traits noirs sinueux encadrent le torse. Une moderne Ophélie, emportée par les flots du Styx. Le cadre aussi a souffert, tâches d’humidité et marques noires. S’en dégage un charme onirique, incertain et fragile. Tichy nous emmène dans des contrées inconnues, où les femmes sont belles et inatteignables, où le hasard et les erreurs gouvernent tout, où on ne peut être sauvé qu’en vivant en retrait du monde et en faisant inlassablement cent huit photos par jour, jusqu’à plus soif, jusqu’à l’extinction du désir. Bienvenue ! Tichy veut dire ‘pacifique’ en tchèque.
* Ce thème est développé plus en détail dans mes contributions aux deux ouvrages mentionnés hier, livre et catalogue.