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Torse bombé, bras musclés, lumière céleste : le célèbre costume bleu et rouge que portait Christopher Reeves dans le premier Supermannous accueille à l’entrée de l’exposition du musée d’Art Ludique. Et nous convie dans l’antre des demi-dieux modernes, fantasmés, adulés – fétichisés.
Essences de surhommes
Le parcours se concentre sur trois personnages phares de la mythologie DC : Superman, pionnier du genre et pilier d’un certain canon esthétique ; Batman, son envers nocturne ; Wonder Woman, icône féminine puis féministe. Entre ces trois se glissent une cohorte de héros et personnages secondaires (Arrow, Green Lantern, Robin…), de super-méchants (Lex Luthor, le Joker, Double-face…) et de regroupements super-héroïques avec la Justice League of America.D’emblée, l’exposition opère une sélection drastique au sein de l’œuvre de DC Comics. Au lieu d’un discours transversal plus audacieux et plus novateur, elle se contente de recycler les portraits mille fois entendus d’un solaire et christique Superman, d’un Batman névrosé voire sociopathe, et d’une Wonder Woman farouche amazone. Certes, ces caractéristiques correspondent en grande partie à ces personnages ; mais ce qu’oublient de mentionner les quelques panneaux informatifs, en dépit d’une collection remarquable, c’est qu’une multitude d’auteurs, aussi bien graphiques, filmiques que télévisuels, ont investi ces figures et les ont façonné à leur manière.Par-delà la présentation monolithique du trio émergent au travers des œuvres exposées de nombreuses évolutions dans les représentations : ainsi, Wonder Woman paraît de plus en plus guerrière et de moins en moins glamour à mesure que progressent les luttes féministes, Batman sombre davantage dans la noirceur et la psychose sous la plume d’un Frank Miller, et le costume de Superman noircit toujours plus à chaque film après le 11-Septembre. Mais ces mille nuances n’apparaissent pas dans le discours très classique, plus porté sur une pseudo-essentialisation des super-héros, réduits à leurs représentations archétypales, que sur une analyse chronologique. Et surtout, qui néglige une question primordiale : en quoi DC se distingue de Marvel ?
Collection fétichiste
Car ce qui importe dans la scénographie n’est pas tant la valeur du discours muséal que la prolifération d’objets. Dessins originaux de Jerry Siegel, Joe Shuster (Superman) et Bob Kane (Batman), costumes qui portent encore la marque des acteurs qui les ont ceint, peintures numériques tirées de l’univers DC… : chaque objet se trouve investi d’une force transcendante, d’une aura, pour parler comme Walter Benjamin. L’absence de Marvel se comprend aisément : aveuglée par une analyse purement interne de l’univers DC, l’exposition se contente d’en admirer les productions au lieu de les recontextualiser. On retombe ainsi dans une énième exposition-course aux chefs-d’œuvre, qui privilégie la quantité à la qualité. Mais c’est bien là le problème : pourquoi sacraliser à ce point la pop culture ? Ces œuvres étaient à l’origine destinées à être feuilletées à la va-vite, passées de mains en mains, cornées à chaque nouvelle lecture enfiévrée ; elles n’auraient jamais dû atterrir dans les froides vitrines d’un musée qui les isole du monde vivant.Certes, une exposition qui rend hommage à une culture dont la vivacité égale le mépris qui l’afflige est chose louable. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on appelle « rendre hommage » : si cela signifie enfermer la créativité dans l’enceinte close du musée, si cela conduit au haro des « institutions » culturelles sur les arts populaires, on s’en passera.L’Art de DC – L’Aube des super-héros, au musée d’Art Ludique jusqu’au 10 septembre 2017Maxime