Photo Peter Groth
Au moment où, à Saint-Malo, le Festival Etonnants Voyageurs célèbre les liens entre littérature et démocratie, l’un des grands acteurs de la littérature-monde s’éteint. Juan Goytisolo, 86 ans, est mort dimanche à Marrakech après avoir marqué plusieurs générations de lecteurs et d’écrivains. Dans un ouvrage collectif, Je est un autre, publié en 2010 et, précisément, à l’occasion d’Etonnants Voyageurs, il rappelait comment l’expérience de sa vie, marquée par la guerre civile espagnole et la dictature qui suivit, l’avait privé de valeurs plurielles qu’il avait fallu conquérir par « une action toujours à contre-courant, dans les marges de la culture et du monde officiel. » Sa biographie et son œuvre témoignent de cette reconquista accomplie comme un acte de foi renforcé par l’observation : « Il n’y a pas de culture homogène ou pure, comme le prétendent les patriotes et les ultranationalistes de tout poil. Bien au contraire, toute culture, sauf dans les communautés de petite taille et isolées, est la somme des influences qu’elle a reçues tout au long de son histoire, et plus celles-ci sont nombreuses, plus grande est sa richesse propre. » Il a pu dire et répéter qu’il était « castillan en Catalogne, français à Madrid, espagnol à Paris, latin en Amérique du Nord, nasrani au Maroc et maure partout. » Avec une certaine logique, ses livres ont été interdits en Espagne sous Franco mais le détour par les traductions françaises leur a donné, ainsi qu’à Goytisolo lui-même, un poids considérable. Jeux de mains, Fiestas ou Pièces d’identité, entre autres fictions, s’imposent dans les années 1960 par leurs qualités littéraires avant que les engagements politiques de l’auteur renforcent sa présence. Juan Goytisolo a travaillé chez Gallimard, enseigné aux Etats-Unis, dragué au Maroc. Ce « citoyen traîne-savates de la planète Terre », comme il se décrivait lui-même, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, a d’abord été célébré en 1985, et en Belgique, par le très international Prix littéraire Europalia offert par les Communautés européennes. De 2004 à 2014, les Prix Juan Rulfo, national des lettres espagnoles et Cervantes avaient confirmé son rang parmi les siens.