Walker Evans, collectionneur d’images

Publié le 04 juin 2017 par Aicasc @aica_sc

WALKER EVANS
Houses and Billboards in Atlanta
1936
Silver gelatin print
16,5 x 23,2 cm
The Museum of Modern Art, New York
© Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum
of Art
Photo: © 2016. Digital Image, The Museum of
Modern Art, New York / Scala, Florence
11.

L’exposition Walker Evans, présentée au Centre Pompidou du 26 avril au 14 août 2017, est incontestablement un évènement. Tout d’abord, parce que c’est la première rétrospective de l’œuvre de ce photographe américain organisée par une institution française. Ensuite, parce que sa remarquable structure, très pédagogique, vous inscrit immédiatement en mémoire les thématiques essentielles de la production artistique de ce photographe-auteur qui a profondément marqué le vingtième siècle et influencé les générations suivantes. Ainsi, l’attrait pour la culture vernaculaire et le contexte urbain, le goût pour les objets utilitaires et domestiques, la pratique de la sérialité, la prédilection pour certains sujets,  par exemple les affiches publicitaires qu’il est le premier à intégrer dans des photographies, les baraques de bord de route, l’architecture victorienne, les portraits d’anonymes de rues sont répertoriés et exemplifiés en images.

Pour ce qui concerne la prise de vue, à l’exception de quelques clichés de jeunesse au cadrage audacieux comme New – York city corner (1929) ou Abroad the Cressido (1932), Walker Evans effectue en début de carrière le choix d’une prise de vue frontale et neutre. En effet, très vite, il choisit de s’effacer derrière son sujet afin de mieux transmettre sa vision du monde.

Nourri de littérature et plus particulièrement de littérature française – il a traduit Baudelaire, Huysmans, Gide, Cendrars et affectionne les décadents Barbey d’Aurevilly et Villiers de l’Isle Adam- il transpose en photographie, à travers son style documentaire, le naturalisme de Flaubert dont il adopte la neutralité : l’esthétique de Flaubert recouvre absolument la mienne. Sa méthode, je l’ai appliquée dans deux directions : à la fois son réalisme et son naturalisme, et l’objectivité de son style, la mise à l’écart de l’auteur, son absence de subjectivité. Mais intellectuellement cependant, c’est Baudelaire qui est mon influence majeure. (1). Il partage en effet avec Baudelaire l’attrait pour la modernité et le contexte urbain. Ne retrouve – t – on pas dans Girl in Fulton street (1920) un écho du poème baudelairien, Une Passante ?

Dans le même temps, Walker Evans reste fasciné par le revers de la consommation moderne, les déchets, les épaves de trains ou d’automobiles, les façades en décomposition.

Ses portraits les plus célèbres, ceux des métayers du Sud des Etats – Unis, captés pendant la Grande dépression, sont caractéristiques de sa manière. Ses modèles de prédilection sont les humbles, les anonymes : dockers de La Havane, habitants de l’Amérique profonde, photographiés  frontalement, avec une volonté d’objectivité et une précision de rendu.

Même lorsqu’il répond à une commande du MOMA, la réalisation d’un inventaire photographique de six cents sculptures africaines en 1935, il adopte cette même neutralité. Loin de la dramatisation et des jeux d’ombres d’un Man Ray, Walker Evans, au contraire, photographie ces sculptures sur un fond neutre avec un cadrage serré à la manière des images d’un catalogue. Procédé qu’il reprendra une vingtaine d’années plus tard pour mettre en valeur la beauté des outils ordinaires.

Cependant pour Walker Evans, l’art n’est jamais un document bien qu’il puisse en adopter le style. Et, en effet, il dépasse le documentaire qu’il transcende en œuvre d’art à la manière d’Eugène Atget qui réussit à rendre poétique le décor quotidien des rues parisiennes.

Pour obtenir le résultat souhaité, Evans, à l’inverse de Cartier Bresson ou Stieglitz, n’hésite pas à recadrer ses négatifs alors qu’il privilégie une prise de vue instinctive : Je ferai n’importe quoi pour avoir une bonne image, à savoir couper ce qu’il faut du négatif.(2)

Ses pratiques novatrices ont largement influencé des générations de photographes. Ainsi son expérience de l’archivage, de l’inventaire, de la sérialité continue d’être développée par Bernd et Hilla Becher comme par toute l’Ecole de Dusseldorf, par exemple Thomas Ruff, Andreas Gursky.

WALKER EVANS
Subway Portrait
January 1941
Silver gelatin print
20,9 x 19,1 cm
National Gallery of Art, Washington
Gift of Kent and Marcia Minichiello, in Honor of the
50th Anniversary of the National Gallery of Art
© Walker Evans Archive, The Metropolitan
Museum of Art
Photo: National Gallery of Art, Washington

D’autre part, lorsqu’il se poste à un coin de rue à la manière d’un surpriser pour capter les passants anonymes ou lorsqu’il les photographie à leur insu dans les transports en commun, à l’aide d’un petit appareil dissimulé dans son manteau, n’annonce – t il pas le mode opératoire de Luc Delahaye photographiant subrepticement les passagers du métro en 1999 pour son livre L’autre ? Faut- il rappeler le procès qui a suivi la publication de l’ouvrage après la plainte d’un des passagers s’estimant lésé par la divulgation d’une image peu valorisante et la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris de privilégier, dans ce cas précis, la libre expression artistique par rapport au droit à l’image.

Enfin, Walker Evans n’a t – il pas pratiqué l’immersion avant la lettre en s’installant trois semaines dans des fermes d’Alabama pour réaliser ses portraits les plus célèbres ? L’immersion du photographe est aujourd’hui une pratique répandue. Ainsi Marc Pataut, fonde sa démarche, en amont de la photographie, sur le temps, sa lenteur, son épaisseur, sa profondeur. La photographie suppose de son point de vue une intelligence de l’immersion.

Walker Evans a porté un regard décisif sur la modernité américaine, faisant de la photographie à la fois un objet documentaire et une œuvre esthétique. La force novatrice de son œuvre conserve sa capacité à émouvoir le public d’aujourd’hui.

D B.

1 Unclassified :A Walker Evans Anthology (2000)

2 in Leslie Kratz, An interview with Walker Evans ( 1971)

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