Pour son atelier théâtre de Ferney-Voltaire, Marie-Laure nous a habitué à un choix de pièces plutôt sombres posant des questions existentielles. On se souvient de « Lettres croisées » en 2008, des « Tortues viennent toutes seules », du NON d’Anna », de « Au Bois Lacté » d’après Dylan Thomas et encore de « Où vas-tu Pedro » l’année dernière et "La résistante" dans une autre cadre. Cette fois, avec "Le lavoir", le ton est plus enjoué même si derrière le rire pointe la souffrance.
Comme son titre l’indique, la pièce se passe dans un lavoir le 2 août 1914 soit deux jours après l’assassinat de Jaurès, le jour de la mobilisation et un jour avant la déclaration de guerre. Au milieu de la scène trône un lavoir à deux grands bassins que l’on doit à Benoit Fontaine, décorateur attitré et émérite. Sont là une vieille dame en fauteuil et sa fille qui gèrent le lavoir et s’occupent des accessoires, battoirs, savons…
Puis, les lavandières arrivent à tour de rôle. En premier Gervaise puis deux jeunes sœurs, elles seront 11 à la fin en comptant la mère et la fille. « Il y a les plus jeunes, les plus âgées, les naïves, les revenues de tout, les légères, les syndiquées, les moralistes, les écorchées. Unies par leurs difficiles conditions de vie, elles parlent franc et quand elles rient, c’est pour parer au malheur. » L'arrivée des lavandières se fait dans l’allégresse et la vivacité, les dialogues fusent à un rythme soutenu lors des entrées successives. Nous voilà plongé dans un monde ouvrier et féminin plutôt dur où les femmes n’ont pas le beau rôle mais où la joie n'est pas absente.
On repère de suite la syndicaliste dont les propos ne sont pas accueillis avec sympathie par les autres. On sent peser le poids de la société et de la religion en ce début de siècle. La mère rappelle à l’ordre « Ici pas de politique et pas de religion. » Difficile pourtant de ne pas revenir sur le sujet.
Le spectacle enchaîne des tableaux vivants. On passe de la joie à la peine, du rire aux larmes, du battage aux pas de danse, des querelles aux embrassades. Le spectateur ne sait où donner de la tête et assiste à de purs moments d’émotion. Parmi les femmes on repère la belle qui bien sûr fait la belle, parle de ses succès avec les hommes et suscite jalousies et crêpages de chignons. Mais elle chante bien, alors on reprend le refrain en chœur. Il y a la jeune qui est enceinte, son tombeur tiendra-t-il promesse de l’épouser ? Gervaise rappelle comment sont les hommes, vraiment pas fiables. L’une raconte son travail chez les bourgeois comme nourrice et bonne à tout faire, maltraitée, violée. Une autre parle de son mari décédé très jeune. Elle parle aussi de son enfance au ghetto de Varsovie, de l'espoir déçu qu'avait suscité la France pour son père. L’antisémitisme pointe vite rabroué par la majorité et on en profite pour chanter ce très beau chant de paix en hébreu.
Bref, de tableaux en tableaux on assiste à ce qu’on aime au théâtre, être pris dans l’action, être ému, attentif, émoustillé et oublier la chaleur ou la clim’ qui ne marche pas trop bien. Je vais encore me répéter et dire que Marie-Laure Berchtold est une magicienne en nous offrant à une telle qualité de spectacle avec des comédiens débutants, enfin pas tous car certains ont redoublé, triplé voire plus pour leur plaisir et pour le notre.