Edith Wharton (1862-1937) traverse, en 1906 et 1907, une
bonne partie de la France. Trois excursions automobiles avec une certaine
fraîcheur. Car, écrit-elle en ouvrant ces récits pour la première fois traduits
en français il y a moins de deux ans et aujourd’hui réédités au format de poche :
« L’automobile a restauré le
romantisme du voyage. » L’ère de la malle-poste s’était achevée avec
l’extension du chemin de fer, mais il fallait se plier aux horaires des trains
et souffrir, à l’entrée des villes, « des
zones de laideur et de désolation créées par la voie ferrée elle-même ».
Tandis que l’arrivée en voiture échappe à cette pollution visuelle. Et puis, « bien que certaines personnes semblent
en douter, il est très possible d’arrêter le moteur et de sortir de
l’auto », ce dont Edith Wharton ne se prive pas, particulièrement
quand elle longe la Loire.
Il ne s’agit cependant pas, entre Boulogne et Amiens, de
Paris à Poitiers ou dans le Nord-Est, d’une balade paresseuse. Pas un monument
n’échappe à l’œil de la romancière américaine qui en note qualités et défauts
sans se priver de comparer les traces du passé à son pays d’origine « où le plus récent immeuble de bureaux
et le dernier silo à grains sont les seuls monuments qui reçoivent l’hommage de
l’architecture environnante. »
Elle aime, d’ailleurs, que les bâtiments soient marqués par
le temps. Elle est étonnée par l’église de Brou qui semble neuve. Plus
qu’étonnée, déçue : le monument a « l’aspect
d’un jouet de celluloïd ». Elle supporte aussi mal les lieux « muséifiés », où l’on n’entre
qu’après avoir acheté un billet « à
une ouvreuse aux tresses dorées ».
Le pire étant, à ses yeux, une ville comme Lourdes, du moins
la partie devenue une « vaste mer de
vulgarité », une entreprise florissante montée autour des
apparitions : « ville de la
Basilique, des Rosaires, de la Grotte, un entassement de pensions et de pieux hôtels, de baraques de
colporteurs et de panoramas, où le Grand Hôtel du Casino et du Palais jouxte la Pension de la Première Apparition, et la Vierge de Lourdes ceinte de bleu attire l’attention sur la
lumière électrique et le déjeuner par petites tables à l’intérieur. »
Edith Wharton a probablement emporté un guide Joanne,
l’ancêtre du Guide bleu, qu’elle cite et qui l’aide à se fixer des étapes. Mais
elle est surtout une femme qui se forge sa propre opinion et ne se laisse guère
influencer. Elle regarde ces livres avec circonspection et s’inquiète
d’ailleurs à propos de la toile de David qu’elle voit à Rouen : « On tremble à l’idée qu’un jour elle
puisse cesser de briller de ses propres demi-teintes, et qu’elle devienne un
objet étoilé par le Baedeker… »
En revanche, elle ne parle pas du guide Michelin, qui avait
fait son apparition en 1900, relève Julian Barnes dans une préface éclairante.
Car, à lire Edith Wharton, on pourrait croire qu’elle a accompli seule ces
trajets en France. Il n’est pas indifférent d’apprendre, grâce au préfacier,
qu’il s’agissait de véritables expéditions, accompagnées de personnel et de
bagages qui voyageaient séparément. On les retrouvait à l’hôtel. Un hôtel
souvent trop coûteux pour un compagnon des deux derniers périples, Henry James,
que sa compatriote ne cite pas une seule fois. Tandis que Julian Barnes,
puisant dans la correspondance de James, fournit les détails sans lesquels La France en automobile resterait un
voyage assez désincarné.