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« Aden Arabie » (suite)

Publié le 26 juin 2008 par Frontere

« Aden Arabie » (suite)Paul Nizan avec sa femme, Henriette.

« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie

Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie [son métier] dans le monde.

A quoi ressemblait notre monde? Il avait l’air du chaos que les Grecs mettaient à l’origine de l’univers »

Qui parle? Un jeune normalien d’une vingtaine d’années, pur produit de la IIIe République qui va entrer allègrement dans sa sixième décennie et se trouve sur le point de célébrer son Empire à l’occasion de l’exposition coloniale de mai 1931, qui sera inaugurée par le président de la République Gaston Doumergue et par un maréchal de France, Louis Lyautey. Mais ce normalien est un enfant ingrat qui voit en son pays une prison. Tel un hanneton qui se cognerait contre les vitres de l’appartement où il serait entré par inadvertance. Nizan semble hésiter devant les portes de son destin :

« Il y avait des quantités d’échappatoires : que de portes pour n’aller nulle part », p. 67, « Il y avait d’autres portes qui menaient vers les grands hommes [référence au Panthéon] », p. 68, « Quelques-uns ayant frappé à toutes ces portes voyaient fondre les raisons glacées qu’ils avaient malgré tout de rester à l’attache », p. 69.

Ces portes promesses de l’ailleurs, au-delà de la finitude du monde, sont le symbole d’un univers clos pour cette génération montante de l’après-guerre. Génération du ressentiment contre les aînés qui n’ont pu empêcher la catastrophe de 1914-1918. Génération privée, de ce chef, de père au moment de la crise de l’adolescence en raison de l’hécatombe de la guerre, et pour laquelle Nizan emploie le “nous” comme s’il se voulait son porte-parole. Ces jeunes gens ne peuvent souffrir le positivisme qui reste l’idéologie dominante, ils apparaissent décalés et bien peu matérialistes : « Nous pensions vie intérieure quand il fallait penser dividendes », p.70, et peuvent-ils se résigner à souscrire au mot d’ordre d’Alain, philosophe quasi officiel de la République : « Penser, c’est dire non », au risque de rencontrer le nihilisme?

Nizan ne veut pas d’un avenir tracé sur des rails, pour cette raison et après avoir consulté, notamment George Duhamel, il diffèrera son agrégation, il rêve de découvrir d’autres espaces que ceux bornés de “l’Europe aux anciens parapets” ; que reste-t-il d’autre à faire sinon à “conjuguer au futur les dernières utopies”?

Rimbaud reste le modèle, Nizan s’y réfère explicitement, avec comme autres modèles Stevenson (exilé aux Samoa) et Gauguin (parti vivre en Polynésie), et implicitement, p. 129, où il parle de “saisons en enfer”.

Il en serait presque à dire comme Dorgelès dans Partir (1926) : « Le voyage pour moi ce n’est pas arriver c’est partir », oui avec Dorgelès et certainement pas à la manière du très riche Barnabooth de Valery Larbaud brocardé comme, je cite : ces “amateurs oisifs qui aiment les paquebots des croisières ruineuses” ; le luxe ne saurait être une terre d’élection pour Nizan. C’est l’aventure qu’il espère, pas le confort, mais :

« Les événements ne tombent pas du ciel », « les événements ne sont pas un service public comme le gaz et l’eau »

l’aventure n’existe que si on la crée. Il va s’y employer. Car cette fois-ci : « La porte s’ouvre ».

A suivre


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