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Je trouvai Albertine dans son lit

Par Vertuchou

Je trouvai Albertine dans son lit. Dégageant son cou, sa chemise blanche changeait les proportions de son visage qui congestionné par le lit, ou le rhume, ou le dîner, semblait plus rose ; je pensai aux couleurs que j'avais eues quelques heures auparavant à côté de moi, sur la digue, et desquelles j'allais enfin savoir le goût ; sa joue était traversée de haut en bas par une de ses longues tresses noires et bouclées que pour me plaire elle avait défaites entièrement. Elle me regardait en souriant. [...] Je me penchai vers Albertine pour l'embrasser. [...] " Finissez ou je sonne ", s'écria Albertine voyant que je me jetais sur elle pour l'embrasser. Mais je me disais que ce n'était pas pour ne rien faire qu'une jeune fille fait venir un jeune homme en cachette, en s'arrangeant pour que sa tante ne le sache pas, que d'ailleurs l'audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions ; dans l'état d'exaltation où j'étais le visage rond d'Albertine, éclairé d'un feu intérieur comme par une veilleuse, prenait pour moi un tel relief qu'imitant la rotation d'une sphère ardente, il me semblait tourner telles ces figures de Michel-Ange qu'emporte un immobile et vertigineux tourbillon. J'allais savoir l'odeur, le goût, qu'avait ce fruit rose inconnu.

J'entendis un son précipité, prolongé et criard. Albertine avait sonné de toutes ses forces.

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs

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