safrandorf
terres arides
sol des pauvres
pentes raides
passée la saison des seigles
brouillards d’automne
clair de lune de septembre
sur les chaumes nus
s’ouvre le crocus tardif
dernière des fleurs avant les neiges
un pèlerin de compostelle
en aurait rapporté un bulbe
caché dans sa botte
un soldat retour d’Espagne
en aurait rapporté un bulbe
caché dans sa natte
sol des pauvres
pentes raides
depuis six siècles
au petit matin d’avant les neiges
trois stigmates d’or rouge
/
il neige sur berlin
chacun trace ses pas
il neige sur berlin
ainsi de la mémoire
qui redessine les paysages
il neige sur les blessures de la ville
tu as trente ans et tu dis :
« elles sont nos racines »
il neige sur les eaux de la spree
dans la cour du berliner ensemble
les épaules de brecht ont blanchi
et hier en sortant de la cantine du théâtre
le dernier vieux compagnon de la troupe
semblait danser dans la nuit
mais c’était pour éviter la neige fondue
maison des canuts sur la croix-rousse
fond de siège
lancés et brodés liés en sergé et taffetas
pour la reine mathilde
au château des tuileries
lampas fond de satin
tandis que le roi louis-philippe
envoie son fils et vingt mille hommes en armes
mater la révolte des ouvriers de la soie
ce fut en novembre
ce 22 en l'an 1831
sur la colline des canuts
soie — filé et frisé métallique dorés
puisque pour la maison royale
en avril ne te découvre pas d'un fil
laize à bouquets de roses
et oiseaux des îles
satin liseré et broché
ce 15 en l'an 1834
sur la colline les compagnons
fusillés prisonniers déportés
taffetas liseré et lancé
liage repris sur l'envers en sergé
et dans l'hiver 1848
ce 25 février
velours au sabre
le massacre et l'écrasement
sur la colline des compagnons
laize à décors de nuages
étoffe tissée à disposition
éclats de soleil et l'ombre des orages
qui sait encore les noms
de si belle ouvrage
qui sait encore les noms
des compagnons au drapeau noir :
« vivre en travaillant
mourir en combattant »
lé à décor de passiflores
broderie en peinture à l'aiguille
passé empiétant
c'était hier c'est encore demain
Mireille Gansel, Comme une lettre, éditions La Coopérative, 2017, 144 p., broché, 16 €, pp. 14, 42, 121/122
Mireille Gansel dans Poezibao : bio-bibliographie, "Traduire comme transhumer" par Florence Trocmé, ext. 1 et note création