Wecyclers, une infrastructure innovante de traitement des déchets tirant parti d'une flotte de vélo-porteurs pour collecter les déchets des habitants africains et les recycler dans un hub de tri sélectif.
Pour sa seconde édition, l'évènement " Smart Cities Le Monde ", duquel L'Atelier BNP Paribas est partenaire, a vu les choses en grand. Après avoir décerné le Prix Européen à Eric Cassard et son projet " Habiter l'Infini ", l'organisation a choisi d'attribuer son premier Grand Prix international de l'innovation à la société nigérienne Wecyclers et son projet de collecte intelligente des déchets. Une initiative qui s'inscrit pleinement dans les nouveaux paradigmes des villes intelligentes. La révolution technologique, qui semblait être jusqu'alors menée par les Etats-Unis, s'étend à d'autres pays, mettant en lumière de nouvelles façons de concevoir l'espace. Aux quatre coins de la planète, des villes mondes interconnectées croissent en imposant des visions riches et renouvelées de la modernité. Les mutations en cours, dans leurs multimodalités, imposent, en effet, un changement de regard sur les territoires urbains, notamment par la mise en valeur du rôle fondamental du citoyen dans la construction de son environnement.
Si la majorité des candidatures aux Prix de l'innovation provenaient encore du continent Américain (46,5%), le poids de l'Asie est également significatif (38%), preuve s'il en fallait de la vitalité de son écosystème en la matière. C'est donc naturellement, et dans une volonté de décentralisation, que " Le Monde " a choisi Singapour pour accueillir sa première cérémonie internationale des Prix de l'innovation. La ville, véritable concentrée d'expérimentation et d'innovation, se veut le laboratoire mondial des " smart cities " qui s'appuie notamment sur la voiture autonome pour transformer ses transports en commun.
Mais le champ des transformations urbaines ne peut être réduit à la seule mobilité. L'intelligence des villes, du moins celle entendue dans l'appellation " smart city ", est un mouvement global qui investit des domaines variés comme le traitement des eaux, la gestion des ressources énergétiques, l'action culturelle ou encore l'habitat, en faisant intervenir de manière active et centrale le citoyen. Elle amène donc à faire des villes de véritables hubs de communication et de solidarité qui se fondent sur l'utilisation rationnelle des data et sur les vertus de l'économie de partage pour construire une société ouverte et participative, bénéficiant avant tout aux individus qui l'habitent. Le défi des villes intelligentes consiste alors à imaginer des solutions globales et locales aux problèmes sociaux, économiques et politiques que peuvent rencontrer les citoyens dans leur vie quotidienne. En ce sens, la smart city doit s'engager.
Un projet de convergence de l'économie frugale et de l'innovation technologique
Pour Louis Treussard, CEO de l'Atelier BNP Paribas, ce projet " révèle l'enjeu lié au caractère holistique et interdépendant de la Smart City qui se doit de faire converger les solutions du monde technologique avec les promesses de l'économie frugale, en intégrant la participation de tout un écosystème d'acteurs dans ce champ d'innovation. ". Selon lui, on borne encore trop le concept de Smart City à celui de grandes villes connectées. Or, il est réducteur de croire que des outils de plus en plus complexes comme l'intelligence artificielle peuvent régler tous les problèmes. Des solutions simples, organisées en circuit court sont tout autant efficaces. Plus que connectée, la ville est communicante, ouverte, non affectée par les fractures numériques. La Smart City nous invite alors à repenser nos modèles intelligents dans une posture plus mesurée, à l'échelle de l'humain. " Aujourd'hui le monde digital montre qu'il y a de la valeur dans l'action concrète et dans l'économie du "do it yourself". Aussi, les technologies révèlent leur intelligence dans leur capacité à faire appel au bon sens collectif et à s'adapter aux spécificités locales pour répondre efficacement et humblement aux besoins d'un écosystème. "
Pour Louis Treussard, l'économie frugale n'a donc rien à envier aux innovations technologiques. Les deux élaborent à leur échelle des solutions à des problématiques particulière. " Dans les nouvelles façons de concevoir les espaces, il y a la nécessité de faire converger économie frugale et technologie en trouvant un équilibre dans la dose nécessaire de technologie à investir, la parfaite connaissance de l'environnement dans lequel on s'inscrit et l'impératif de scalabilité des solutions que l'on entend donner ".
La collecte et le recyclage des déchets, un enjeu de développement économique et de santé publique
C'est dans cette optique que le Grand Prix de l'innovation a été remis ce vendredi au projet WeCyclers qui entend faire de la collecte et du recyclage des déchets un facteur de développement économique et d'amélioration de la santé publique au Nigéria. Le pays connaît en effet une crise du traitement des déchets particulièrement préoccupante. A Lagos, sa capitale, où est née Bilikiss Adebiyi, la co-fondatrice de la société et ancienne élève de la MIT, seulement 40% des déchets sont collectés dont 13% sont recyclés. Chaque jour, 10 000 tonnes d'ordures s'amassent dans les rues de la métropole. Un enjeu de santé évident pour les populations vivant dans les bidonvilles à proximité de ces décharges à ciel ouvert qui accélèrent la propagation de maladies. Cette situation n'est pas spécifique au Nigéria, mais touche la majorité des pays africains. Selon l'Organisation des Nations Unies, seulement 10% des poubelles seraient collectées pour recyclage sur l'ensemble du continent africain, le reste étant brûlé à ciel ouvert ou laissé à l'abandon à même le sol, présentant alors des risques écologiques et sanitaires absolument majeurs.
D'IBM à Wecyclers
Préoccupée par cette situation, Bilikiss Adebiyi, quitte son poste d'ingénieur logiciel chez IBM en 2011 pour cofonder l'année suivante Wecyclers. La société imagine une solution visant à fédérer les communautés urbaines autour des enjeux de la collecte et du recyclage des déchets. Pour ce faire, elle doit composer avec les spécificités locales, que ce soit en termes d'infrastructures ou d'écosystème. " Au-delà de l'empowerment des populations par leur implication active dans ce système de collecte et de tri des déchets, nous nous sommes aperçus qu'il existait un besoin croissant de recyclage à grande échelle au Nigéria. Le pays en est encore à un stade naissant dans ce domaine, au vu du peu qui a été réalisé en comparaison aux volumes de matériaux potentiellement recyclables qui sont générés et aux progrès faits en la matière par les autres Etats en développement. ".
Le système de Wecyclers est fondé sur une organisation tripartite : une flotte de vélo-remorques à bas coûts arpente la ville en porte à porte pour y collecter les déchets qui seront ensuite transformés dans sa plateforme de recyclage et de tri sélectif. Les matériaux recyclés sont ensuite réutilisés comme matière première par des entrepreneurs locaux. Il s'agit donc d'un véritable circuit court qui rassemble dans l'action et dans la conscience commune, entrepreneurs, centre de tri et citoyens. L'intérêt est donc triple : améliorer les conditions de vie et la santé des habitants tout en favorisant la fourniture de matière première recyclée à bas coût et établir un véritable circuit économique profitant à tous.
Car le projet bénéficie en effet à tout le monde. A la planète évidemment, aux entrepreneurs locaux aussi, mais surtout et avant tout aux citoyens eux-mêmes. Pour mettre en place son système, Wecyclers a dû déployer des efforts considérables pour changer les mentalités. Les habitants nigérians ne font pas forcément le lien entre la mauvaise gestion des déchets et la dégradation de leurs conditions de vie et de santé. Il n'est pas forcément naturel pour eux non plus de trier leurs déchets, cela nécessite donc une sensibilisation. Pour y parvenir, la société a imaginé un mécanisme d'incitation au tri reposant sur l'utilisation du téléphone portable et des récompenses. On le sait, l' industrie du mobile en Afrique est un moteur essentiel de la croissance économique en Afrique subsaharienne. Ce marché est estimé à plus de 100 milliards de dollars, soit 5,7% du PIB total de la région. L'usage du téléphone mobile est une véritable source de développement économique et de transformation sociale, du paiement à l'apprentissage par téléphone, les apports sont nombreux et les usages généralisés. Wecyclers se fonde donc sur les usages permanents du mobile en Afrique pour sensibiliser les populations à ses actions, notamment en envoyant des recommandations directement aux habitants par SMS.
Ce changement de mentalité apparaît fondamental à plusieurs égards : d'abord parce qu'il sensibilise les populations à des gestes responsables qui protègent l'environnement et la santé publique, mais également car il impulse une nouvelle conscience citoyenne, celle d'être acteur du changement et de s'insérer pleinement dans le rayonnement écologique, économique et social de la région. En cela, Wecyclers se veut une source d'émancipation pour la population. Pour chaque kilogramme de déchets collecté, la famille reçoit des points qu'elle peut transformer en cadeaux, généralement des biens de consommation. Ainsi, le recyclage responsable devient aussi une source d'émancipation économique. Et c'est bien là que se révèle l'intelligence du projet qui interconnecte les problèmes structurels comme la santé, l'éducation et l'économie dans une solution globale et holistique qui inclut et profite à tous.
A ce sujet Louis Treussard rappelle que " la ville doit être l'antichambre d'un monde "plat", tenant compte des données exogènes qui jouent sur un certain nombre de phénomènes. L'enjeu c'est de voir le chantier de la ville comme une transformation structurelle et interdépendante à laquelle chacun peut prendre part. La technologie n'est rien d'autre que le produit de l'intelligence humaine collective. Son pouvoir majeur c'est de donner accès et donc de permettre à tous d'agir en conscience. En devant acteur de la ville, les citoyens, les entrepreneurs, les collectivités retrouvent leur liberté et donc le sens de leur responsabilité. Mais pour cela, il faut sortir du manichéisme technologique, le même qui construit des oppositions entre l'homme et les technologies, entre pays développés et en voie de développement, et plus largement entre la ville et le territoire. Il faut sortir d'une pensée magique pour trouver ensemble, avec nos sensibilités propres et nos particularismes, des solutions agnostiques pouvant être élargies et appliquées au monde sans frontière qui est désormais le nôtre. "