Je ne comprends pas très bien votre question. « Pourquoi faudrait-il un sens à nos jours? »
Pour les sauver?
Mais ils n'ont pas besoin de l'être.
Il n'y a pas de perte dans nos vies, puisque nos vies sont perdues d'avance, puisqu'elles passent un peu plus, à chaque seconde.
Un mot me gêne dans votre lettre. Ce mot de sens. Permettez-moi de l'effacer.
Voyez ce que devient votre question, comme elle a belle allure, à présent. Aérienne, filante:
"Qu'est-ce qui vous donne votre vie?" la réponse cette fois-ci est aisée : tout.
Tout ce qui n'est pas moi et m'éclaire.
Tout ce que j'ignore et que j'attends.
L'attente est une fleur simple. Elle pousse au bord du temps.
C'est une fleur pauvre qui guérit tout les maux.
Le temps d'attendre est un temps de délivrance.
Cette délivrance opère en nous à notre insu.
Elle ne nous demande rien que de laisser faire, le temps qu'il faut, les nuits qu'elle doit.
Sans doute l'avez-vous remarqué: notre attente -d'un amour, d'un printemps, d'un repos- est toujours comblée par surprise.
Comme si ce que nous espérions était toujours inespéré.
Comme si la vraie formule d'attendre était celle-ci : ne rien prévoir sinon l'imprévisible.
Ne rien attendre sinon l'inattendu.
Ce savoir là me vient de loin.
Ce savoir qui n'est pas un savoir, mais une confiance, un murmure, une chanson....
Christian Bobin,
Éloge du rien
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