Plutôt que d'être classé dans le genre roman, Laisse tomber les anges l'est dans celui des récits. Est-ce parce que la part des digressions est belle et celle de l'intrigue mince? D'aucuns ne se seraient pourtant pas sentis gênés de lui trouver un air romanesque...
Dans ce récit de Nadine Richon, s'il y a débats et argumentations sur le milieu d'origine, sur la religion, particulièrement l'islam, sur les rapports parents-enfants etc., il y a aussi imagination et fantastique, deux époques éloignées se télescopant allègrement.
Jean-François Hauduroy a écrit un roman non publié dans les années 80-90. Son héroïne s'appelle Diane Thierry. Elle est née en 1915 et est morte, en principe, en 1938. En principe, car, justement, c'est une héroïne de roman et qu'elle peut vivre deux fois:
J'ai pour l'éternité une vingtaine d'années et je rêve d'un écrivain privé de matière, contraint d'épouser ma route et de réinventer mon histoire.
Cet écrivain, ce sera Sabine. La quarantaine. Mère d'une adolescente, Sedna, prénommée comme la dixième planète. Intéressée par deux écrivains qui ont rompu avec leur milieu, Didier Eribon et Laurence Tardieu, ce qui l'a fait délaisser Diane, en apparence...
Dans le cas de Diane, en effet, c'est le père, diplomate canadien, puis la mère, qui l'ont laissée seule à Paris, si bien qu'elle ne les a pas informés de sa maladie quand elle est survenue et qu'elle s'est expatriée en Suisse sous la pression du médecin de famille.
Dans le roman impublié, Diane Thierry, partagée entre deux hommes, Michel et André, comme elle atteints de phtisie, est la seule du trio à ne pas survivre. Maintenant, la nympho du sana vit une autre vie, reliée singulièrement à Sabine, par entente tacite.
Cette distance rapprochée avec l'époque actuelle permet à Diane, dans le sillage de Sabine, après avoir été de son temps une rebelle déphasée d'être imprégnée de féminisme, ayant toutefois de la peine à suivre les débats récents qui occupent le mouvement...
Diane, Sabine, Edna s'expriment tour à tour. Elles ne voient pas les choses de la vie de la même manière. Il semble cependant que ce soit la voix de Diane, venue d'une autre époque, qui ait les accents les plus convaincants et qui soit la plus proche de l'auteur:
Si Dieu s'est écarté de lui-même pour engendrer le monde en imaginant ces êtres minuscules voués à le connaître, pourquoi, dès lors, ces créatures vivantes jetées sur Terre entre Vénus et Mars ne s'éloigneraient-elles pas un peu de Lui afin de concevoir, en ces parages encore accueillants où elles ont proliféré avec douceur et férocité, une société plus juste et équilibrée?
Francis Richard
Laisse tomber les anges, Nadine Richon, 168 pages Bernard Campiche Editeur
Livre précédent chez le même éditeur:
Crois-moi, je mens (2014)