La modernisation de la production s’accélère grâce à la diffusion des technologies numériques réunies sous le concept d’industrie du futur ou « industrie 4.0 » comme on l’appelle outre-Rhin. Elle conduit à une redéfinition de la nature du travail et à une évolution des compétences. De nouveaux profils sont demandés, d’autres tombent en désuétude. La plupart doivent intégrer de nouvelles qualifications.
Oubliez vos préjugés sur l’industrie. L’image d’Epinal d’usines sales et bruyantes qui seraient restées à l’époque du taylorisme et les cadences infernales décrites dans le film « Les temps Modernes » de Charlie Chaplin ont laissé la place à des ateliers modernisés où le rôle de l’homme est revalorisé.
Avec l’émergence des technologies réunies sous le concept d’« industrie du futur », ce mouvement s’accélère. La maquette numérique, la robotique, la réalité augmentée, la fabrication additive (ou impression 3D), l’internet industriel des objets ou encore le Big Data participent à l’automatisation et la digitalisation des processus de production. Mais si ces technologies contribuent parallèlement à améliorer les conditions de travail des ouvriers et ingénieurs, leur introduction n’est pas sans conséquence sur la nature de l’emploi et les compétences recherchées. Certains profils sont en voie de disparition. D’autres émergent.
Du côté de la logistique, l’affaire est entendue. Les tâches manuelles pénibles de transport de pièces ou de stockage, aujourd’hui assurées par des opérationnels, vont peu à peu être prises en charge par des robots. « Il y a énormément de logistique interne dans une usine. Tous ces postes assurés par des caristes ou du personnel de manutention sont menacés à l’échéance d’une dizaine d’années » prédit Bruno Grandjean, Président du directoire de Redex, un fabricant de systèmes de transmission, et Président de la Fédération des Industries Mécaniques (Fim). « Plus globalement, on assiste à une montée en gamme des compétences. Beaucoup de tâches à faible valeur ajoutée vont disparaître ». D’ores et déjà, des véhicules autoguidés remplacent l’homme pour apporter des pièces sur les chaînes de montage ou préparer les commandes. L’ouvrier non qualifié a vécu.
Des intégrateurs de cobots très prisés
A l’inverse, d’autres métiers profitent d’une forte demande. L’Internet industriel des objets (IIoT), où les machines communiquent entre elles ou avec les produits en cours de fabrication, va générer un flot continu de données. L’industrie manufacturière aura donc besoin de spécialistes du traitement de la donnée, les fameux « data scientist » que toutes les entreprises s’arrachent, ou encore d'experts en cyber-sécurité – pour l’instant talon d’Achille des objets connectés.
Avec l’émergence de la robotique collaborative, nous allons assister à la naissance d’un écosystème où graviteront des automaticiens/informaticiens, et des spécialistes des interfaces homme-machine et de la relation homme/cobot. « Dans les grandes organisations, on observera également l’apparition de postes de gestionnaires du parc de robots » prédit Moundir Rachidi, Directeur Associé du Boston Consulting Group (BCG) en France et du projet ICO (« Innovative Center for Operations »), une usine-école, vitrine futuriste comportant deux ateliers de fabrication de scooters et de bonbons.
Pour l’instant, le personnel capable d’installer ces « cobots » dans les ateliers manque cruellement à l’appel. « Difficile de trouver de véritables prestataires de robotique capables de trouver le bon degré d’automatisation pour intégrer le robot dans l’environnement humain ou de créer des accessoires spécifiques (pinces par exemple) » relève Bruno Grandjean. Quiconque s’engage dans cette profession d’intégrateur a donc un bel avenir devant lui.
Démonstration de la collaboration entre un robot et un homme pour une opération d’emballage avec le cobot Sawyer. Source : HumaRobotics
La sophistication des produits fabriqués où se multiplient capteurs et électronique engendre un métissage des technologies. De fait, les bureaux d’études auront de plus en plus besoin de spécialistes pluridisciplinaires maitrisant l’électronique, les capteurs et la mécanique. « Des ingénieurs qui tout en conservant leur spécialité sont capables d’amalgamer celle des autres » résume le Président du directoire de Redex. Au-delà, ce besoin de multidisciplinarité ou d’ « hybridation des compétences » sera le maître mot pour tous les départements de l’entreprise industrielle prédit le think-tank « La Fabrique de l’Industrie » dans une étude publiée l’année dernière.
Avec la diffusion du numérique, beaucoup prédisent un besoin de qualification plus élevé et une diversification des tâches au niveau de la chaîne de production. « Il sera indispensable de savoir programmer une machine à commande numérique, sans pour autant perdre de vue l'aspect savoir-faire manuel du métier » illustre Vincent Charlet, Directeur de « La Fabrique de l'Industrie ».
Des perspectives pour les profils moins qualifiés
Pour autant, cette montée en gamme des compétences n’est pas systématique. « Le numérique ouvre parfois des perspectives à des opérateurs un peu moins qualifiés car il simplifie certains postes » avance Bruno Grandjean. Une opération d’assemblage peut être facilitée par l’utilisation d’un cobot. Les technologies de réalité augmentée et virtuelle ne servent pas qu’aux bureaux d’études pour concevoir des produits ou aux services méthodes pour modéliser un système de production. Grâce à la projection en 3D des pièces ou des techniques d’assemblage, elles peuvent guider pas à pas des personnes qui ne disposent pas d'un très haut niveau de technicité. « Les opérateurs gèrent des tâches plus évoluées que par le passé grâce aux outils numériques. Ces derniers facilitent également la communication avec un ingénieur intervenant en assistance » appuie Moundir Rachidi.
La réalité augmentée permet de guider pas à pas des personnes qui ne disposent pas d'un très haut niveau de technicité. Source : shutterstock
En tout cas, tout le monde s’accorde sur un point. Dans l’usine du futur, l’ouvrier bénéficiera de conditions de travail revalorisées. On verra sans doute un peu moins d’assembleurs sur les chaînes de montage, mais leur quotidien sera moins éprouvant grâce à l’émergence de la cobotique (association homme-robot) dans les ateliers. Ces robots industriels de nouvelle génération partagent le même espace de travail que l’homme et le libère des tâches pénibles, répétitives ou impliquant de la précision, alors qu’ils étaient séparés dans le passé, notamment du fait de la dangerosité des premiers.
La multiplication dans les usines de capteurs capables d’évaluer l’usure des machines et d’anticiper les futures pannes modifie profondément les opérations de maintenance. Les interventions de routine organisées de façon préétablie vont laisser la place à une maintenance tenant compte de l’état réel de la machine. Cette informatisation du métier suppose que les techniciens soient désormais capables de manipuler des statistiques et des indicateurs. Les statisticiens seront donc aussi courtisés dans ce domaine.
Maintenance et qualité bouleversées par la statistique
Avec moins de pannes à gérer, on suppose que le contingent des techniciens de service diminuera légèrement, mais leur avenir n’est pas menacé. Loin de là. « Dans l’industrie de type process notamment, la capacité à faire tourner les équipements et de maximiser leur taux d‘utilisation reste un élément très critique » assure Bruno Grandjean. « La bonne compréhension de l’architecture des machines et de leur fonctionnement reste également un besoin fort. Le numérique ne demeure après tout qu’un assistant ». En connectant les machines-outils, il est désormais possible d’identifier en temps réel les déviances de production de la machine. Le contrôle qualité pourra lui aussi anticiper des erreurs de fabrication en amont, mais devra digérer la profusion de statistiques et indicateurs.
La multiplication des capteurs dans les usines évaluant l’usure des machines, anticipant les futures pannes, modifie profondément les métiers de la maintenance. Source : Shutterstock
L’arrivée de la fabrication additive bouleverse également les pratiques. Plus connu sous le nom d’impression 3D, ce procédé de fabrication de pièces par ajout de matière et empilement de couches successives change les modes de conception. « Pour les concepteurs du bureau d’études, elle implique une rupture par rapport aux habitudes anciennes où traditionnellement on procédait par retrait de matière » rappelle Bruno Grandjean. Concrètement, l’impression 3D permet de réaliser des pièces complexes pour un coût très inférieur mais avec un gain de temps substantiel. Ce qui a des implications au niveau de la planification de la production et génère d’importantes économies d’échelle.
Actuellement marginale, l’utilisation de ce procédé de fabrication provoquera l’apparition de nouveaux métiers. Des spécialistes de ces technologies d’abord, qui connaissent sur le bout des doigts les forces et limites de ces machines, et sont capables de les intégrer dans un modèle économique de conception des produits. Des spécialistes des matériaux ensuite. « Des experts sachant si tel ou tel alliage est compatible avec la technologie de fabrication additive ou qui adaptent le processus de fabrication en fonction des matériaux utilisés. Les sociétés portées sur ce créneau recrutent déjà à tour de bras » relève Bruno Grandjean.
Un manager en perte de repères
Enfin, la diffusion du numérique transforme l'organisation même de l'usine. L'accès immédiat à la connaissance remet en question le système hiérarchique pyramidal. « Certaines entreprises ont déjà supprimé un niveau de management intermédiaire » appuie Vincent Charlet. « Ceux qui encadraient les équipent deviennent des experts fonctionnels que l’on sollicite pour résoudre une question pointue sur l’innovation, la qualité … Ces entreprises demandent dans le même temps plus de polyvalence voire plus d’autonomie à leurs opérateurs ». Selon l’étude citée plus haut de La Fabrique de l’Industrie, certaines entreprises comme Michelin, Somfy ou Redex ont déjà mis en place des organisations qui responsabilisent les salariés avec « la création d’îlots de production au sein des usines et l’introduction de nouvelles méthodes de travail plus participatives ». Dans ce contexte, la position du manager n’est pas simple. Il doit jouer un rôle de régulateur et d’animateur, tout en conservant sa légitimité pour affirmer son autorité. « Ce qui peut provoquer des pertes de repères », toujours selon l’étude.
Le travail en équipe se généralise, le dialogue se renforce entre les différents services : bureaux d’études, marketing, production, service qualité, etc. « Avec l’usine du futur, on entre dans un monde plus collaboratif où la distinction col bleu / col blanc s’estompe. Un opérateur échange directement avec un designer ou un ingénieur du bureau d’études. Et le designer lui suggère des modifications. Plus besoin d’organiser une réunion, la communication s’avère plus fluide ce qui tend à décloisonner les services » avance Moundir Rachidi. Dans cette organisation plus ouverte, les compétences transversales, ou « soft skills », telles que la capacité d’écoute et de travail en équipe, seront au cœur de la demande.