Fiona Maye, juge aux affaires familiales, a l’expérience des
questions délicates. Ses dossiers révèlent souvent des douleurs profondes, des
déchirures définitives. Elle a le souvenir d’avoir dû trancher, et le mot
prenait tout son sens, le cas de deux frères siamois auxquels les médecins ne
donnaient pas plus de six mois à vivre et dont l’un, après leur séparation,
pouvait espérer devenir un enfant normal. Mais les parents refusaient
l’opération qui provoquerait la mort de l’un des deux fils, parce que seul Dieu
a ce pouvoir.
Le jugement de Fiona avait été unanimement salué par ses
collègues et les spécialistes du droit : il était « élégant et juste ». Mais elle en a gardé, comme une
cicatrice, le remords d’avoir condamné un enfant à mourir, même s’il n’était
pas viable. L’irrationnel n’est jamais complètement absent.
Elle est aujourd’hui confrontée à un dilemme du même
ordre : un garçon de dix-sept ans, atteint de leucémie, devrait être
transfusé pour avoir une chance de guérir. Ses parents, Témoins de Jéhovah, s’y
refusent. Et lui aussi, qui développera d’ailleurs, lors d’une longue
conversation avec Fiona, une solide argumentation prouvant qu’il sait de quoi
il parle. Adam aura dix-huit ans dans moins de trois mois, il est donc encore
mineur mais la juge a tenu à l’entendre. Il y a urgence : chaque jour qui
passe réduit ses chances de survie, expliquent les médecins.
Le titre du roman, L’intérêtde l’enfant, prend tout son poids, renforcé par l’extrait du Children Act placé en épigraphe : « Quand un tribunal se prononce sur une
question relative à l’éducation d’un mineur, l’intérêt de l’enfant doit être la
priorité absolue de la cour. » Ian McEwan, qui place Fiona Maye dans
une situation difficile, n’a évidemment pas écrit un essai sur la justice, bien
qu’il se soit inspiré d’affaires réelles. Il a surtout fourni à son héroïne des
interrogations presque impossibles, mais auxquelles elle doit quand même
répondre, sur la vie, la mort, la foi…
Il y ajoute, comme si Fiona n’en avait pas assez de son
travail pour nourrir des inquiétudes, le ressentiment de Jack, son mari,
fatigué de se sentir totalement délaissé, de voir leur vie de couple
disparaître derrière la place que prend la vie des autres dans les jugements de
Fiona.
Tout est réuni pour menacer la capacité de celle-ci à
percevoir clairement, avec objectivité, les données sur lesquelles elle doit
s’appuyer pour rendre son arrêt. D’autant que celui-ci ne marque pas la fin de
l’histoire : la présence d’Adam dans la vie de Fiona se prolongera hors du
tribunal, ajoutant un élément déstabilisateur à une existence désormais menacée
sur plusieurs fronts.
Cette femme ébranlée, et qui continue à résister, est saisie
à un moment où sa fragilité est grande. Elle en devient d’autant plus forte.