Le site edition-originale.com propose deux exemplaires du très beau Thésée dans son édition originale de 1946. L'une est accompagnée d'un envoi de Gide à Gaétan Picon, un proche de Malraux alors professeur de littérature et auteur de chroniques dans plusieurs revues.
L'autre est, selon le vendeur, adressée par Gide "à mes vieux amis Jeanne et Pierre Blancharay"... Ces "vieux amis", associés à un nom inconnu, ne manquent pas de piquer la curiosité. On rectifie donc assez rapidement l'orthographe en zoomant sur l'image et en déchiffrant l'écriture de Gide : le livre est adressé à Jeanne et Pierre Blanchenay. L'autre nom de Jeanne Mühlfeld, comme nous l'apprenait Claude Mauriac, dans Qui peut le dire ? (L'Âge d'homme, 1985), recueil de ses chroniques parues en 82-84 dans La Tribune de Genève. Mme Mühlfeld, aussi surnommé "la Sorcière" par Valéry et souvent ainsi désignée dans la correspondance de Gide avec ses amis qui fréquentaient son salon de la rue Georges-Ville :
"Une sorcière à Passy
Achevé d’imprimer à Neuchâtel chez Paul Attinger, le 2 février 1955, Visages de mon temps (Éditions Ides et Calendes ) est signé d’un nom peu connu : Jeanne Blanchenay. Cent exemplaires sur chine en furent tirés, dont le n° 20 pour mon père.
Ce nom, Blanchenay, était celui du second mari de Mme Mühlfeld, plus connu grâce au salon littéraire que tenait cette dame, chez elle. Elle se déplaçait avec difficulté, si bien que...
"... demeurée seule, sans grande fortune, n’ayant plus ni chevaux ni voiture, marchant assez difficilement et détestant les transports en commun, je décidai de ne plus jamais sortir qu’à de rares occasions. Quelques intimes, toujours parfaits pour moi, et qui étaient mes voisins, vinrent me voir presque tous les soirs..."
Et, parmi eux, dans sa jeune gloire d’alors, Paul Valéry, qui habitait la rue de Villejust (elle porte aujourd’hui son nom), Mme Mühlfeld ayant à côté son appartement, rue Georges-Ville.
Sûr de la trouver chez elle, Valéry allait donc en fin de journée voir Mme Mühlfeld chez qui se rendait chaque soir pour y entendre Paul Valéry quelques jeunes écrivains fervents. Dont, de la proche rue de la Pompe, François Mauriac.
- Je vais chez la Sorcière...
Ainsi appelait-on Mme Mühlfeld qui rappelle elle-même dans ses Mémoires ce vers de Paul Valéry dans un poème à elle dédié :
Et la sorcière rose, au cœur de son nid jaune...
Cette Sorcière si souvent évoquée fascinait l’enfant que j’étais. Il me paraissait naturel que ma mère n’accompagnât pas mon père dans cet antre. La Sorcière n’aimait point la concurrence féminine et ne recevait les dames que le dimanche. Seul m’a fait rêver autant que cette créature au nom maléfique, le Bœuf que mon père, accompagné cette fois de maman, allait voir, la nuit, sur un toit.
Ces Visages de mon temps nous font rencontrer bien des écrivains, de Barbey d’Aurevilly à Jean Cocteau, de Jules Renard à Anna de Noailles, de Robert de Montesquiou à André Gide. Et, naturellement, mais plus courtement que je ne m’y étais attendu, François Mauriac."