L’essai part d’une première hypothèse : comparer deux poètes (…) les mettre en parallèle peut apporter quelque chose à la lecture de la poésie de chacun, mais aussi à la compréhension de la poésie en général (5).
Izoard et Jacqmin sont deux poètes belges francophones, attachés à la ville de Liège, qui ont écrit dans la seconde moitié du XXème siècle. L’analyse de Gérald Purnelle part des différences entre les poètes, voire des oppositions, pour parvenir à un rapprochement. Mais divergence ou convergence ne se laissent pas démêler si aisément.
Les divergences sont d’abord du domaine de l’éthos : notoriété ou discrétion, position dans ou hors de l’institution, engagement ou détachement (7). Mais, à l’instar de Proust, et contre Sainte-Beuve, sans doute faut-il distinguer le moi social du moi créateur.
De manière plus fondamentale, les divergences portent sur la manière d’envisager la perception du monde, l’expérience réelle ou sensorielle, le langage et l’usage des mots, la place du corps. Purnelle synthétise ces différences en quelques paires oppositives (17). Izoard est sensuel, confiant, là où Jacqmin est ascète et méfiant. Sur la question de l’usage des mots, par exemple, Izoard jouit explicitement de ceux-ci, comme d’objets ou de corps désirés. Jacqmin formule un tout autre avis : Le mot est un amour déçu (15 et 16).
Mais la poésie a fait chez l’un et l’autre l’objet d’une réflexion permanente, intimement inscrite au cœur de l’expérience personnelle (7). Tous deux donnent à la poésie une fonction à la fois lyrique et critique, intime et universelle (33). Tous deux en reviennent constamment à l’évidence de l’écriture comme unique moyen de conserver les choses ou d’aller à leur rencontre (28).
Et de fait, ce qui les rapproche c’est cette vision de la poésie. Ils n’ont pas foi en une fonction transcendante de la poésie (17), mais plutôt en la vertu de l’ignorance, le refus du savoir, ce qui fait questionner et avancer. Le poème est d’abord un moyen de jouissance avant d’être un instrument de connaissance. Qui plus est : le poème doit être le lieu de cette jouissance et de sa perpétuation (21).
L’instantanéité est fondamentale : pour Izoard sont sœurs l’écriture et la foudre. Jacqmin emprunte les chemins de la foudre (22). Mais les divergences reviennent, au second degré : Chez Izoard toute foudre serait ponctuelle, jaillie et éprouvée dans l’instant du mot et de l’image, tandis que Jacqmin serait toujours en désir et en quête d’un lien, d’un pont, d’une durée (25).
Gérald Purnelle cite les auteurs, autant de passages qui invitent au plaisir de lire ou relire ces poètes. Son argumentation est précise, claire, synthétisée par endroits. Il faut lire l’essai, qui peut aussi s’écouter à partir d’un lien fourni sur Internet. Il permet de valider que la réflexion des deux auteurs sur l’écriture et les chemins empruntés sont un apport conséquent à la poésie.
La comparaison entre les auteurs connaît un ultime rebondissement. L’essai se termine avec la formulation d’une deuxième hypothèse peut-être audacieuse, qui donne une tout autre portée à la comparaison des deux œuvres : et si le poème d’Izoard pouvait correspondre peu ou prou au désir impossible de Jacqmin ? (33)
Philippe Fumery
Gérald Purnelle, L’écriture et la foudre, L’Arbre à paroles, 2016.