En passant de l’une à l’autre, on est surpris, ou non, de constater que notre rapport au paysage, à la nature, nous enveloppe totalement, parce que paysage et nature nous précèdent, nous accompagnent, nous survivent. Il y a dans un semis humble, presque fruit du hasard, mais porteur de vie, dans le dessin sophistiqué d’un jardin, qui ensuite perdure, dans l’éclosion filmée des fleurs, une volonté d’échapper à la contingence, à l’éphémère. Ainsi en est-il de la volonté de l’artiste, qui sublime, transfigure ce qu’il crée, pour exprimer d’une part une ardente aspiration à la vie, et une autre aspiration, au-delà de la sensualité, conceptuelle même, de l’existence.
L’exposition d’Orsay, concentrée sur le rapport de l’artiste avec un certain mysticisme est illustrée par le geste ample et prometteur du Semeur de Van Gogh (c’est l’affiche de l’exposition) et s’achève avec une toile étrange intitulée Le Semeur d’univers de Georges- Frédéric Watts. Sur ce dernier tableau, une des commissaires de l’exposition, Katharine Lochnan, écrit : « Dans sa robe bleue bouffante, [une] figure énigmatique (qui rappelle les personnages bibliques dans les œuvres du poète et artiste anglais mystique William Blake) tournoie dans l’espace en faisant jaillir de ses mains des étoiles, comme autant d’étincelles ». La référence à William Blake est justifiée. N’écrit-il pas : « Dans un grain de sable, voir le monde. Et dans chaque fleur des champs le paradis » ? Entre ces deux gestes, l’exposition présente des toiles souvent originales, célèbres ou non, qui expriment le saisissement de l’artiste devant le paysage qu’il essaie d’évoquer, en dépassant une simple reproduction esthétique. Du Monet des Cathédrales ou des Meules, ou des Peupliers, vus selon différents éclairages qui signifient des moments infiniment renouvelés, aux Accords réciproques de Kandinsky – les deux noms qui surlignent l’exposition – s’étalent autant de visions qui cherchent à dire une part « mystique ».
On peut prendre par exemple le thème biblique de la Lutte avec l’Ange, qui s’inscrit dans des paysages que le sujet suppose tourmentés (comme celui de la célèbre fresque, qui vient d’être restaurée, de Delacroix à l’église Saint-Sulpice). Pour Maurice Denis, c’est presque une danse, sur un fond d’arbres roux et un paysage placide. Pour Gauguin, c’est une empoignade observée par des femmes en coiffe et prolongée par une perspective tronquée. L’environnement exprime ainsi sérénité ou angoisse. Le paysage peut ainsi être décrit comme une trouble évocation de la Nuit, du Ciel étoilé, rêve ou cauchemar. Le Musée d’Orsay possède lui-même des œuvres évocatrices (Van Gogh, Degouve de Nuncques). Mais d’autres sont venues d’ailleurs, de Stockholm par exemple (Eugène Jannsson). Le paysage peut encore être le lieu d’une destruction déshumanisante (les 2 paysages après la bataille en quelque sorte) ou comme celui des éblouissements que provoquent les merveilles naturelles, cimes, mers et Vagues (de Strindberg), levers de soleil, ou plus simplement « Rosiers sous les arbres » de Klimt. Les peintres du Nord, présents dans une exposition coproduite avec Toronto, mais aussi Arthur Dove ou Georgia 0’Keeffe, sont aussi présents en force pour élargir les lieux et modes d’observation. Large aussi est la conception du Jardin proposée simultanément au Grand Palais, avec l’emploi de beaucoup de disciplines, en mêlant heureusement les époques, les angles de vue et les sensations. Ainsi une salle montre l’invention des hommes pour entretenir, sarcler, arroser, cultiver le jardin (Arrosoirs, sécateurs et cisailles réunis durant quarante ans par Guillaume Pellerin).
On a dit la part réservée à Orsay aux peintres du Nord, nord-américain et nord-européen. Cette évocation renvoie à l’exposition inaugurale de nouveau Centre de Création Contemporaine Olivier Debré à Tours, qui présente, à côté d’installations de la jeune création norvégienne, des paysages du nord ayant inspiré le peintre dont l’œuvre a participé des formes innovantes du temps – espace, geste, couleurs, travail sur les marges, sur l’imaginaire. C’est aussi une contribution à cette réflexion sur le paysage, qui à la fois est pour chaque individu constante, inconsciente, questionnante. Parfois le paysage est purement descriptif. Parfois il est domestiqué – comme le voulait notamment le XVIIème siècle. Parfois sauvage, comme l’aimait par exemple Victor Hugo. D’autres fois humble, comme le devenir d’une plante, la plaisanterie de l’Arroseur arrosé. Parfois mystique. Encore porté vers une recherche d’éternité, de cosmique, comme le conclue l’exposition d’Orsay. Ceci renvoie à une autre citation, (bien) venue de Gilles Clément : « Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre, et l’éternité. »
Philippe Reliquet
Exposition Au-delà des étoiles, le paysage mystique de Monet à Kandinsky Musée d’Orsay 14 mars – 25 juin 2017. Exposition Jardins, Grand Palais, 15 mars – 24 juillet 2017. Olivier Debré, Un voyage en Norvège, 11 mars – 17 septembre 2017. Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, Tours.