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Monique Severin : la bâtarde du Rhin

Par Gangoueus @lareus

Monique Severin, de passage à Paris.Une jeune femme est dans un avion qui l’a conduit vers l’Île de la Réunion. Nous sommes quelques années après la seconde guerre mondiale. Cette île de l’Océan indien incarne une certaine beauté, par son volcan, par ses cascades ou  sa végétation luxuriante. Dans mon esprit de lecteur. C'est vers ce paradis que si dirige Kozima Scherrer. Mais encore faut-il comprendre les motivations de cette femme allemande,  métisse…
Kozima est une bâtarde du Rhin. Ainsi furent nommés les enfants nés des relations entre de jeunes allemandes et les soldats des troupes coloniales françaises en faction pendant plus d’une année enRhénanie après la première guerre mondiale. Louis Gallieri, soldat réunionnais de ces troupes désignées encore aujourd’hui de tirailleurs sénégalais, va entretenir avec Leni une jeune femme de 19 ans une idylle avant d’être brutalement rapatriés vers sa terre d’origine. Kozima qui rencontre le contextedans lequel elle est née plonge le lecteur progressivement dans une atmosphère encore plus trouble que celle proposée par Didier Daeninckx dans Galadio. Ces deux romans sont dans leurs premières parties construits de la même manière.
Ailleurs, hélas, se jouait une sombre partition : des voix s'élevaient contre la "honte noire" - "poster chez nous des troupes de la plus inférieure des cultures, un scandale! Des nègres du Sénégal pour nous encadrer, intolérable!" - l'Allemagne avait perdu la guerre, les vaincus se sentaient humiliés plus encore par la présence de ces contingents venus des quatre coins de l'empire français, regroupés au Sénégal dans la représentation collective. 

p.29 La Bâtarde du Rhin
Monique Sévérin plonge pourtant le lecteur dans une atmosphère plus glauque que celle proposée par Daeninckx car elle veut rendre palpable le point de vue du bâtard, de l’enfant illégitime. Une illégitimité qui ne s’arrête pas au niveau des parents, mais qui traduit, qui incarne le poids de la honte, de l’humiliation d’une nation. Car dans le fond, les français qui ne considéraient pas mieux leurs soldats supplétifs voulaient marquer au fer rouge de l’humiliation, la nation allemande. On sait combien cette approche va, parmi d’autres, nourrir la soif revancharde du national-socialisme allemand. L’écrivaine réunionaise continue de traduire l’impact du choix de Leni d'avoir cette petite fille métisse, sur elle-même et sur son enfant. Disons pour être fidèle au texte que cette partie du roman est d’une incroyable cruauté, faisant de Galadio à côté, un roman de gare.
Kozima va voir grandir ce sentiment complexe autour d’elle, dans sa famille, malgré la protection relativement assumée de son beau-père. Elle est prise dans le processus de stérilisation, entrepris par les nazis de ces tâches trop « honteuses » pour le projet aryen, pour servir de cobaye de laboratoire. Bon je ne poursuivrai pas cette description. Disons que c’est en ayant vécu dans sa chair le traitement de la batarsité au sens allemand, structuré, méticuleux, froid que Kozima décide d’aller à la recherche de ce père qui a abandonné sa famille à un sort aussi funeste. C’est dans cet état d’esprit qu’elle arrive à la Réunion. Elle va être confrontée à un traitement de la bâtardise aussi abject puisque sur cette île.
Il est intéressant de voir comment les niveaux de langue servent la première partie du texte, très structurée pour incarner une forme de pureté envisagée dans la narration "allemande" et une forme de confusion que l’on perçoità l’arrivée de Kozima sur l’île de la Réunion. Français et créole s’entremêlent et participent à la forme de confusion littéraire qui me semble voulu par Monique Séverin. Ce jeu de la langue s’estompe ensuite pour laisser à la complexité des relations sur cette île où la batarsité est une institution.
Il y a plusieurs manières façons de lire ce roman. On peut aborder ce texte sous l’angle de la tragédie répétée subie par des générations de femmes (en Allemagne ou à la Réunion). La question du traitement de la race constitue un sujet à part entière aussi, riche et douloureux. Les totalitarismes aussi forment par le biais des hiérarchies post-esclavagistes de la microsociété réunionnaise ou le terrible projet hitlérien un angle d'attaque. Mais le plus important est peut-être le traitement du bâtard et de son statut social dans ces deux sociétés. Ce texte est âpre, avec parfois des longueurs. Il est profondément sombre et pessimiste mais il a le courage de poser des mots sur des maux tus et de prendre en charge le concept complexe de la bâtarsité pour coller au créole. N’est-ce pas le début d’une bonne littérature ?
Monique Séverin, La Bâtarde du Rhin
Editions Vents d'ailleurs, première parution en 2016, 238 pages

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