Sophie Loizeau a publié récemment deux livres : La chambre sous le saule aux Presses Universitaires de Rouen et du Havre et Ma maîtresse forme aux éditions Champ Vallon.
I. Extraits de La chambre sous le saule :
Attentive à la voix in, à la petite voix interne.
Bien que sans timbre elle articule. Fidèlement la transcrire. Le décousu transcrire, l'incongru. Le coq à l'âne. Les liens associatifs bondissants, la forme d'étoile. Ce que les images du quotidien ont d'entraînant, ce qu'elles entraînent avec elles. Inaudible parfois, brouillée, mâchant ses mots.
Avec l’été, je retrouve le don d'été - le don d'hiver l'hiver. Accumulation en couches sédimentaires mes étés. Celui qui débute s'éveille lui-même par la magie des autres ; s'il est bon il enrichira sa lignée même si c'est aux tout premiers, doués parmi les doués, qu’en revient le mérite. Qui à la racine de l’arborescence, la joie ou bien l’été ?
Je tâche de faire aboutir mes petits motifs. Le temps qui consiste à les conduire jusqu'au bout, je l'appelle séquence. Une intuition, un sentiment d'achèvement préside à leur fin en dehors de toute considération formelle.
À première vue la tête s'incline sur le livre et la main accompagnatrice tourne les pages. Une absorption qui ne manifeste pas grand-chose, dont on ignore les souterrains.
On peut dire en me voyant elle lit, mais cette action restreinte que recouvre-elle ? Rien de moins que tout l'aquatique de mes rêves et de mes pensées.
Picasso, Matisse, Klee trouvèrent un nouveau souffle dans la contemplation des dessins d'enfants et s'en approprièrent les principes : simplicité, concision, force de représentation, littéralité. Je ne fais pas autre chose en transposant les paroles de ma fille à l'écrit : une écriture brute, naïve, inventive voit le jour. Une sorte d'art premier littéraire avec sa structure, son imaginaire, ses liens. Même s'il dépend d'une autre sachant écrire, d'une secrétaire, son texte, le texte de Lilas est littéraire, il traduit au plus juste sa pensée et la colporte.
Il y a du plaisir dans tout ça.
Sophie Loizeau, La Chambre sous le saule, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2017, p. 10, 40, 51 et 81. 128 pages, 15€.
« La Chambre sous le saule, est, selon le mot de son auteure, une "poésifiction" : prose fragmentée, langue volontairement fluide. Ce qui y est à l’œuvre et que l’auteure nomme le don d’instase est magique, chamanique : c’est quand tout concorde un instant. Réceptivité à l’esprit du monde et joie d’y habiter sont les maîtres mots. Mais ils ont une contrepartie. L’auteure écrit dans cette tension. » (fiche du livre sur le site de l’éditeur)
II : Extrait de Ma maîtresse forme
La Manche typiquement ma mer
des canards sauvages traversent l'autoroute en criant
la saison de l'écriture est celle en cours
être dans le cerveau de l'oiseau qui s'envole
à mon approche
une boue résiduelle de chat —
difficile de savoir — sur la chaussée
La Manch typiquement ma mer
des canards sauva[ʒ] trav[ɛ]-rsent l’autoroute en criant
la saison de-l’écriture est celle en cours
é-tre dans le cerveau de-l’oiseau qui s’envole
à mon approche
u[n] boue residu[ɛ]-lle de chat —
difficil de savoir - sur la chaussée
« Le point central de ce livre est qu’il est conçu comme un livre bilingue, où une langue serait écrite et l’autre entendue, et cette dernière serait entendue en quelque sorte, de la bouche même de l’auteure, avec tout ce que l’écoute peut avoir de déroutant et de singulier. » (Laurent Citrinot) – lire la fiche du livre sur le site de l’éditeur Champ Vallon.
Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme, Champ Vallon, 2017, p. 34, 96 pages, 13€.
Sophie Loizeau dans Poezibao :
lectures franco-finlandaises à la SGDL (06), extrait 1, extrait 2, Bergamonstres (parution), ext. 3, ext.4, [note de lecture] Sophie Loizeau, "caudal", par Françoise Clédat, ext. 5