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L’art urbain numérique sublime la smart city

Publié le 22 mai 2017 par Pnordey @latelier

La smart city met en lumière le rôle croissant du citoyen dans la fabrication de son environnement urbain. Devenu acteur, il interagit avec elle et se réapproprie les espaces. Dans ce cadre, l’art urbain numérique a un rôle à jouer dans la réappropriation citoyenne de l’espace public.

Les villes intelligentes sont majoritairement vues sous le prisme de l’accroissement des performances, de la mobilité et de l’accès. Or, la culture, qu’elle soit globale ou locale, est une des caractéristiques fondatrices des villes. Les "cités" sont le cœur de l’activité humaine, elles orchestrent les interactions et sont donc des lieux privilégiés de création et de diffusion. De tout temps, les hommes ont dessiné leurs environnements aux images, aux formes et aux couleurs qu’imposaient leurs imaginations. Elles sont un témoignage, un reflet, un miroir des hommes qui l’habitent. Que se soit les arts préhistoriques, les fresques, l’architecture ou le street art, les villes ont toujours dessiné l’histoire des hommes. L’art n’est pas que l’affaire des musées mais se rencontre aussi au hasard des rues, à la hauteur des buildings et au détour des carrefours. L’art est partout où notre regard se pose, l’art investit, l’art transfigure. A l’ère de la publicité, au sens premier du terme, où tout devient public, partagé, la ville aussi se décloisonne. Nous vous avions parlé de l’intérêt touristique de faire de la Smart City une "Art City". Maintenant, envisageons la ville comme une expérience artistique et sensorielle.

Depuis plusieurs décennies, le street art (art urbain) dessine les villes et le regard qu’on porte sur elles. Elles témoignent de la réappropriation des espaces par les citoyens. Les murs comme une mémoire, comme un témoignage, comme un outil. Né à la fin des années soixante à New York, alors que le béton avait recouvert massivement les rues et que les premières affiches publicitaires tapissaient les grandes avenues, le street art a toujours accompagné les grandes mutations urbaines du 20 et 21ème siècle. Avec le développement du métro puis des banlieues, de nouvelles logiques, de nouveaux combats et de nouvelles façons de penser la ville émergent et avec elles leurs expressions artistiques. Fils du hip-hop, le street-art est au centre d’une véritable culture des rues ayant son propre langage, son propre esprit et ses signes distinctifs. En cela, elles sont les produits des politiques urbaines et des logiques inhérentes aux villes contemporaines. Elles sont un moyen d’expression mais aussi une façon de se réapproprier l’espace. Car que serait la ville sans ses rues ? Que seraient les rues sans leurs cultures ? Que serait donc la ville sans le street art ?

L’art urbain numérique sublime la smart city

MacFries Pedestrian Crossing by McDonald's

Ce questionnement est d’autant plus intéressant qu’il permet de mettre la ville et ses mutations en perspectives, d’en apprécier les caractéristiques pour mieux les investir. Il est intéressant de voir que le street art s’est développé dans des aires majoritairement pauvres où les gens vivaient et investissaient pleinement les rues, du Bronx à Berlin Est en passant par Bristol. Le street art joue avec les frontières du privé et du public, de l’intérieur et de l’extérieur. Tout se passe comme si, la rue était une maison à investir et à personnaliser. Des murs qui séparent et qui pourtant rassemblent. Des murs qui protègent et qui pourtant isolent. Il s’agit en outre d’un outil de politisation indirecte des territoires. L'art urbain se heurte aux affichages publicitaires et a un monde moderne qui souvent le dépasse. Il est donc aussi affaire de combat, il joue de l’occupation et de l’illégalité et se heurte aux mécontentements des résidents, des occupants, des propriétaires et des pouvoir publics. Car la ville comme la rue est une affaire de bien commun et ne peut être réappropriée par un petit nombre. Elle appartient à tous, donc à personne. C’est pourquoi il est aussi question de bien commun et d’harmonisation sociale quand vient le sujet de l’art de rue.

Aujourd’hui, avec la mondialisation, la décentralisation et le remodèlement des villes et des métropoles en véritables plateformes interconnectées, plus encore avec l’avènement des smart cities, ces logiques s’accroissent et se perpétuent en même temps qu’elles s’hybrident dans le numérique. Le street art entre en galerie et se monétise, et les dispositifs numériques essentiels à toute ville numérique viennent enrichir le mobilier et le paysage urbain. L’art urbain numérique vient enrichir la palette créative du street art en y mêlant des dispositifs connectés, comme le QR Code ou le Gifitty (sorte de graffiti élaboré en gif) … Et son intérêt ici est démultiplié. A l’ère de la ville collaborative, organisée en un laboratoire citoyen, connecté et ouvert, les dispositifs d’art urbain numériques apparaissent comme un moyen privilégié d’expression libre et de reconquête des territoires. Mais ils apparaissent aussi comme des supports privilégiés pour faire de la ville une œuvre d’art pensée comme une véritable expérience. Une immersion dans l’histoire, en faisant parler les trésors du patrimoine, une immersion sous forme de parcours, pour redécouvrir les lieux et gamifier les espaces, une immersion, enfin, dans ce qui fait le cœur brûlant des villes : les communautés humaines qui les composent.

Giffity par INSA

Giffity produit par l'artiste britannique INSA

Réinvestir les espaces en transition

Aujourd’hui encore, il existe dans les villes, des espaces inoccupés, abandonnés ou délaissés. Ces espaces en transition, en voie de démolition ou de disparition contrastent souvent avec le paysage urbain, ils témoignent d’une solitude et d’un isolement dans des villes de plus en plus mouvantes et frénétiques. Ces lieux revêtent cependant un vrai intérêt pour les artistes de rue et pour les municipalités. C’est là notamment qu’au milieu des années 70, en plein cœur des politiques de grandes rénovations urbaines, a germé le street art français. Ces lieux n’étaient que très peu surveillés et importaient peu aux pouvoirs publics. Ils étaient donc considérés comme libres de droit par ces artistes qui n’ont pas hésité à en faire leurs nouveaux terrains de jeu. On voit aujourd’hui, le retour de ces pratiques, notamment dans les bâtiments en chantiers. Cependant le paradigme a un peu changé. Au dessus des échafaudages, volent aujourd’hui d’immenses drapeaux publicitaires chantant les louanges du dernier smartphone ou les mérites de la nouvelle voiture hybride. Le problème de la ville publicitaire est celui de l’uniformatisation culturelle des villes. Car la publicité n’a pas de frontière et est la même partout. Or, les murs ont un caractère et une histoire qui n’appartiennent qu’à eux. De plus, la publicité, quand elle étouffe par son abondance, tend à instrumentaliser le paysage à des fins commerciales et, de fait, induit un rapport utilitaire entre les citoyens et le mobilier urbain.

A l’inverse, faire des aires urbaines délaissées ou en transition des lieux de vie et de création permet à la fois de témoigner d’une tradition culturelle, celle de l’occupation des rues par les habitants, et de créer des zones de rencontre et de tourisme, d’en faire des pôles d’attraction éphémères qui participent in fine à dynamiser la ville. Berlin est peut-être la ville qui témoigne avec le plus d’éloquence de ce potentiel des espaces en transition. Dévastée par la Seconde Guerre Mondiale, morcelée durant la guerre froide, Berlin est l’exemple symptomatique du caractère résiliant des espaces. Sa plastique industrielle et ses grands espaces abandonnés, qui vacillent entre exhibitionnisme et secret, ont cristallisé autour d’eux l’émergence d’une multitude très riche de contre-culture qui en fait une des destinations les plus dynamiques de ces dernières années. En France aussi, des lieux éphémères de création grandissent partout où s’évanouissent les établissements. Les projets sont multiples.

Black Supermarket

Le BlackSupermarket sponsorisé par Carte Noire

A Paris, en janvier dernier, s’ouvrait le Black Supermarket, un lieu hybride, à la fois galerie d’art contemporain, lieu de vie collaboratif, espace de travail et bar à cocktail. Le projet est intéressant à de nombreux titres. D’abord puisqu’il réinvestit un ancien supermarché tout en gardant, et en customisant son mobilier. Il utilise donc un lieu en transition dans toutes ses spécificités pour en faire avant tout un lieu de vie et d’attraction, qui rompt donc avec les rideaux de fer mornes et les pancartes immobilières. Lieu d’art et de création éphémère, ouvert durant deux mois, le Black Supermarket est peut être l’un des exemples les plus frappants d’aménagement habile de lieux en transition puisqu’il s’appuie sur un partenariat avec la marque de café Carte Noire pour se financer et dispenser avec des acteurs artistiques bénévoles toutes sortes d’activités.  Des cours de danse gratuits ont notamment été donnés bénévolement par une société de danse contemporaine en échange d’une belle visibilité. Ces nouvelles formes de partenariat urbain entre les promoteurs immobiliers, les marques et les collectifs artistiques mettent en lumière l’idée selon laquelle une nouvelle forme de publicité, plus intégrée, plus douce, est possible. Mais elles véhiculent aussi l’idée d’un réaménagement intelligent, temporaire ou permanent,  des zones en transition, pour rompre avec leur immobilisme et en faire de véritable lieux de vie et de culture.

En France, le projet Tour Paris 13 a investi une tour en voie de démolition de 4500 mètre carré, regroupant plus de 9 étages et une quarantaine d’appartements. Sous l’impulsion de la Galerie Itinerrance, spécialisée de longue date dans les œuvres de street art, le lieu a entièrement été réinvestit par des artistes urbains, venus du monde entier. A chaque pièce son artiste, sa vision et son art. Ici rien n’est à vendre, il s’agit d’un musée éphémère hors norme, amené à renforcer l’attractivité du 13ème arrondissement de Paris et, le temps d’un instant, réinventer l’espace et se réapproprier le quartier. D’ailleurs, la mairie du 13ème arrondissement s’est vite associée au projet, notamment pour « initier le publics aux pratiques artistiques actuelles qui métamorphosent le quartier ». A cela, s’ajoute la collaboration de la Blogothèque, de France Télévision, du Mouv et de Canalstreet.tv, pour enrichir le projet d’un véritable dispositif digital transmédia qui propose une expérience immersive et collaborative autour de la Tour. Une plateforme web a été imaginée pour proposer des enrichissements sonores et visuels et une véritable interaction entre les visiteurs et les artistes. Ces outils numériques permettent aussi de capturer photographiquement les œuvres, inévitablement amenées à être détruite et donc de préserver leurs mémoires.

Tour Paris 13

Une des pièces du projet Tour Paris 13

Expérimenter la ville, réinventer les patrimoines

C’est d’ailleurs là tout l’intérêt de tels dispositifs digitaux dans la ville. On le sait, le tourisme et la culture sont de forts pôles d’attraction des municipalités. En accroissant le dynamisme culturel des villes, on parvient en même temps à accroitre son potentiel économique, via le tourisme notamment. De plus, les dispositifs numériques urbains permettent, outre leur utilité pratique, de raconter différemment les espaces. Car la ville est essentiellement un lieu d’histoire, d’héritage et de patrimoine partagé. Cette richesse est inestimable et les nouveaux outils numériques entendent bien les sublimer. Les villes sont des lieux intemporels, perdus entre le passé, le présent et le futur. Elles gardent dans le secret de leurs patrimoines, la mémoire des générations passées en même temps qu’elles organisent dans le présent et qu’elles se projettent dans le futur. Il n’est ainsi pas aisé d’harmoniser ces différentes logiques, ces regards divers et variés et d’en saisir toute la portée. C’est pourquoi, dans une logique de valorisation du patrimoine, nombreuses municipalités ont choisi de collaborer avec de jeunes talents du numériques pour concevoir de véritables parcours numériques dans la ville. Ces applications géolocalisent les monuments, soit par intérêt soit par thématique, pour élaborer des parcours utilisateurs entendant plonger le touriste ou l’habitant au cœur d’une histoire. La ville devient donc une histoire, une mémoire. Elle devient un théâtre vivant à ciel ouvert. La médiation culturelle mue en un véritable storytelling.

C’est le cas notamment à Leicester (Angleterre), où le Jewry Wall Museum s’est associé à des étudiants de la Montfort University pour concevoir une application en réalité augmentée qui permet d’explorer la ville, telle qu’elle était à l’époque romaine.  Pour ce faire, l’application localise les anciens monuments romains, encore existants ou en ruines, et les recense sur une carte interactive. Ainsi, l’utilisateur qui parcourt la ville sera alerté par une notification chaque fois qu’il passera devant un monument ancien. Grâce à un dispositif de réalité augmentée, celui-ci pourra admirer le batiment, modelé en 3D, « comme s’il y était ». Parallèlement, le Jewry Wall Museum propose une série d’exposition sur l’histoire archéologique de la ville qui dialogue avec l’expérience immersive proposée par l’application. Ce dispositif dans et hors les murs permet de faire dialoguer l’intérieur et l’extérieur, le passé et le présent et revient à poser un regard multipolaire sur la ville. A Rome, de nombreux dispositifs analogues existent pour faire revivre les grands temples romains, qui émergent des ruines en réalité augmentée. A Paris, un parcours sonore et interactif dans le Paris révolutionnaire du 17ème siècle a été imaginé par des étudiants de l’université Paris 8 par le biais de l’application XVII. 

Patrimoine en réalité augmentée

Ces projets soulignent aussi l’émergence de nouveaux partenariats, des municipalités avec les universités et les futures start-up innovantes pour créer de tels parcours. C’est donc par la collaboration de divers acteurs locaux que naissent ces nouvelles façons de percevoir et d’expérimenter les villes. De plus, ces projets tendent à gamifier les espaces pour les rendre à la fois plus attractifs et pour leur donner de nouvelles dimensions, ludiques et expérimentales notamment. Par exemple, l’application XVII immerge l’utilisateur dans un univers sonore dynamique à 360° réorientant la médiation culturelle vers une dramaturgie qui amène le touriste-gamer à interagir avec son environnement. Diverses missions sont ainsi proposées aux visiteurs en fonction du lieu et du moment de la journée en suivant un scénario original qui retrace l’histoire culturelle des lieux. Développer un univers graphique et scénaristique original qui vient compléter les splendeurs du patrimoine et en gamifiant l’expérience touristique, permet ainsi de redonner aux villes toute la profondeur de leur richesse culturelle.


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