Critique de Fleur de Cactus, de Barillet et Gredy, vue le 20 mai 2017 au Théâtre Antoine
Avec Catherine Frot, Michel Fau, Patrick Ligardes, Mathilde Bisson, Wallerand Denormandie, Marie-Hélène Lentini, Frédéric Imberty, et Audrey Langle, dans une mise en scène de Michel Fau
Gênant. C’est le premier mot qui me vient en tête. Gênant de retrouver de si grands comédiens dans un spectacle pareil. Gênant de constater que la salle entière rit devant cette bouse sans la moindre forme d’intérêt. Gênant d’imaginer ce spectacle comme premières partie des Molières, lundi prochain. Gênant de constater que le nivellement par le bas qu’on retrouve dans tant de domaines s’attaque également au théâtre. Après ce premier sentiment, c’est l’indignation qui prend la parole : ma place a coûté 55€, et je ne suis même pas en carré or. Devant les décors – somptueux, il faut bien l’admettre – je n’ose imaginer le coût du spectacle. Et je ne parle pas des têtes d’affiche. Je suis outrée. Je suis dégoûtée. Je suis révoltée.
Du peu que je connaissais de Barillet et Grédy, j’aurais pu prévoir le massacre. Mais j’ai fait confiance. J’ai fait confiance aux critiques dithyrambiques sur le spectacle, j’ai fait confiance aux têtes d’affiche, j’ai fait confiance à un Michel Fau que je suis depuis un bout de temps maintenant. Mais dès le début, l’histoire sent le vieillot : cet homme qui s’est inventé une vie de famille et qui se retrouve à devoir trouver un subterfuge pour présenter sa femme et ses enfants à son amante qu’il souhaite épouser… Avec la plume d’un bon auteur, ça aurait peut-être pu donner quelque chose. Mais ici, c’est ridicule et poussif. Les situations mettent des heures à s’installer, les répliques ne reflètent aucun esprit, les acteurs n’ont rien à jouer. Il manque un ingrédient essentiel au boulevard : un grain de folie. J’ai du mal à concevoir que Barillet et Grédy aient vraiment été en vogue dans les années 50. Et je vous passe les tirades sur la libération de la femme qui s’en va conquérir le monde en conduisant sa deux chevaux.
C’est assez inconcevable, et même très triste, qu’un texte pareil connaisse un tel succès dans un grand théâtre parisien. J’écris ces quelques mots pendant le spectacle tant je m’ennuie, et l’idée qu’il me reste encore près de 2 heures à tenir m’est assez effrayante. A dire vrai, j’ai du mal à imaginer comment les acteurs vont réussir à meubler autour de ce néant pendant encore aussi longtemps. Non seulement la pièce est sans aucun intérêt mais en plus elle est mal écrite et s’étire en longueur : on tient un combo. A côté de Barillet et Gredy, Florian Zeller est le Feydeau du 21e siècle.
Pour une fois, fait étrange, les applaudissements qui ponctuent les entrées et sorties des acteurs ne sont pas ce qui m’irrite le plus. Non, après tout ça fait bien partie de la soirée : vous comprenez, c’est hilarant de voir Catherine Frot répondre au téléphone pour convenir d’un rendez-vous médical. Ceci dit, si personne ne rit à ce moment là, les acteurs risquent de passer un long moment de solitude au regard de la qualité du reste du texte.
Non, ce qui me mine le plus dans cette histoire, c’est l’idée qu’un homme tel que Michel Fau, pour qui j’ai une admiration sans borne, qui m’a fait découvrir André Roussin, et que je suis assez aveuglément, puisse monter un texte pareil. J’ai toujours fait confiance à son intelligence – mieux encore, à son esprit et à son goût, duo rare et appréciable en ces temps d’abrutissement des masses. Mais aujourd’hui je me sens trompée, trahie. La chute est d’autant plus douloureuse que j’avais placé Michel Fau depuis longtemps sur un piédestal. Les questions se bousculent dans mon esprit au fur et à mesure que ce spectacle avance : pourquoi cette pièce ? Par quel étrange hasard a-t-il pu penser qu’elle présentait un quelconque intérêt ? Pourquoi ressortir des placards les écrits de Barillet et Grédy qu’on avait si justement oubliés ? Comment a-t-il convaincu Catherine Frot de se ridiculiser ainsi ? Lui comme elle, qu’on connaît grands acteurs tout en subtilités, sont bien tristes ce soir, sur cette scène. Ce ne sont que de pâles figures d’eux-même, jouant pauvrement tels des pantins sans âme. A leurs côtés, le reste de la distribution est tout aussi caricaturale. Seule Mathilde Bisson tire son épingle du jeu avec une incarnation fine et intelligente. Surprenante et bienvenue, au vu de la tournure que prend cette soirée.
Je regarde avec désespoir la course d’obstacle qu’il me faudrait affronter pour atteindre la sortie. Je suis bloquée, et condamnée à perdre 2h10 de ma vie. J’ai du mal à concevoir l’idée que Laurent Ruquier, pourtant grand amateur de théâtre, ait pu cautionner pareil spectacle à l’affiche de son théâtre, lui qui présente l’année prochaine la reprise d’Art de Yasmina Reza. Un autre monde.
« M’avoir joué une telle comédie, le dégoût me submerge ». Finalement chers Barillet et Grédy, nous nous accordons sur ce point.