« Combien de temps sommes-nous restés là ? Impossible de se fier au carillon de plus en plus fou du Westminster qui a sonné trois fois minuit à quelques minutes d’intervalle. Je me suis levé et, dans la demi-pénombre, j’ai vu qu’Yvonne se retournait du côté du mur. Peut-être avait-elle envie de dormir. Le chien se trouvait sur le palier, en position de sphinx, face à la glace de l’armoire. Il s’y contemplait avec un ennui hautain. Quand je suis passé, il n’a pas bronché. Il avait le cou très droit, la tête légèrement relevée, les oreilles dressées. Parvenu au milieu de l’escalier, je l’ai entendu bâiller. Et toujours cette lumière froide et jaune qui tombait de l’ampoule et m’engourdissait. Par la porte entrouverte de la salle à manger, une musique s’échappait, limpide et glacée, de celles qu’on entend souvent à la radio, la nuit, et qui vous font penser à un aéroport désert. »
Patrick Modiano, Villa triste, 1975, Gallimard, coll Blanche, p. 133