Comme toute la presse ou presque, ce matin, la une de Página/12 parle de la situation au Brésil
Mais la manchette de droite porte sur celle de Milagro Sala
Le groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire vient de remettre un rapport préliminaires de douze pages, à l'issue d'une visite en Argentine, et le constat est assez sévère sur la justice pénale : abus de prison préventive notamment contre les membres de certains groupes sociaux bien déterminés, les pauvres, les indigènes, les homosexuels, les travestis et les transsexuels, les immigrés ainsi que les mineurs, notamment ceux âgés de moins de 16 ans (1). Par ailleurs, les procédures pénales rendent très difficile la levée d'écrou dans cette phase qui précède le procès et donc l'éventuelle condamnation.
La Prensa se contente de mettre l'info dans le bandeau de bas de page
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Le journal n'a pas encore publié son article en ligne
Le groupe de travail a accompagné son rapport d'une nouvelle demande de mise en liberté de Milagro Sala, une recommandation déjà exprimée l'année dernière par ce même groupe de travail au sein des instances onusiennes. En effet, la députée kirchneriste du Parlasur n'a pas pu bénéficier d'une immunité parlementaire telle qu'elle est pratiquée partout dans les Etats de droit. Il est vrai par ailleurs que son appartenance à un peuple originaire lui attribue dans les instances internationales un préjugé de victimisation raciste alors qu'il n'est pas du tout certain que ce soit bien ce type de ressort qui ait joué dans la décision de la justice provinciale de Jujuy de l'incarcérer et de l'inculper.
Le rapport souligne aussi le déséquilibre qui existe en Argentine entre les détenus en prison préventive et les condamnés : 60 % des prisonniers sont en effet derrière les barreaux en attente de leur jugement (2).
Clarín met lui aussi la photo de Milagro Sala, mais en bas,
le contraire de Página/12, son éternel adversaire dans le spectre idéologique
L'ONU avait envoyé une équipe de cinq observateurs internationaux, dont deux se sont fait ses porte-parole, un Béninois et une Létonnienne, qui ont donné hier une conférence de presse pour présenter leur rapport. Ils y dressent aussi un tableau catastrophique de la situation des prisons et des lieux de garde à vue (3) : conditions de vie indignes dans les établissements pénitentiaires, personnels non qualifiés dans les commissariats, violences policières un peu trop systématiques dès que les forces de l'ordre doivent réprimer (4) des manifestations, surtout si elles impliquent des représentants des peuples originaires, contrôles d'identité au faciès (contre les immigrés boliviens, péruviens et paraguayens, qui ont souvent des têtes amérindiennes...). Cette partie-là du rapport ne peut pas surprendre grand monde. Ces domaines restent des espaces de progrès démocratiques dans ce pays longtemps dominé par des pratiques politiques racistes et arbitraires.
Ce rapport préliminaire doit donner lieu à un second rapport, définitif celui-là, qui sera présenté devant le Conseil des Droits de l'homme de l'ONU (5) l'année prochaine.
Autre petit article de bas de page en une de La Nación (à gauche)
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En réponse à ce réquisitoire international qui n'est jamais agréable de voir paraître, le Gouvernement argentin a une nouvelle fois émis des recommandations pour faire accélérer les procédures pénales dans un pays où le code de procédure devait être revu de fond en comble, car c'est lui qui multiplie les possibilités de faire traîner les instructions. Tandis que le Chef de l'Etat se trouve en visite officielle au Japon, après la Chine, les services de la Casa Rosada, dirigés temporairement par la vice-présidente, se sont contenté de prendre acte du rapport, d'exprimer leur accord avec leur contenu et d'afficher la volonté gouvernementale d'améliorer la situation grâce à la mise en œuvre du plan Justicia 2020 (6).
Au même moment, le Forum pour la Liberté et la Démocratie a lui aussi publié un rapport peu flatteur pour le gouvernement en place, faisant la liste de 150 atteintes aux droits de l'homme dans le pays, et le remet aujourd'hui au rapporteur pour l'Argentine auprès de la Cour inter-américaine des Droits de l'homme. Ce rapport compte 328 pages et il a été rédigé par un groupe où se mêlent des associations de victimes de la dictature, des syndicats et des formations politiques (d'opposition), qui se sont réunis en assemblées délibérantes les 28 et 29 avril derniers à Buenos Aires, Mendoza et Córdoba.
Pour aller plus loin : lire l'article principal de Página/12 lire l'article de Página/12 sur le rapport du Forum pour la Liberté et la Démocratie lire l'article de La Nación sur le rapport du groupe de travail de l'ONU lire l'article de La Nación sur la réaction très encourageante du gouvernement argentin (après tout, il y a bien des gouvernements dans cette situation qui nient la réalité et renvoie l'ONU à ses études) lire l'article de Clarín
(1) Mauricio Macri est favorable à une répression accrue contre la délinquance et la criminalité juvéniles, arguant du fait que certains agissements de ces adolescents ou même préadolescents ne peuvent bénéficier d'une excuse de minorité eu égard à l'endurcissement des auteurs et leur caractère récidiviste, que l'on entende ou non cet adjectif dans son sens strictement juridique (2) Cela éclaire d'un jour particulier les décisions de justice qui ont appliqué la loi du "Jour compte double" (2 x 1), qui permettait jusqu'en 2001 une remise de peine à raison d'un jour sur deux, entre le premier jour de la troisième année de prison préventive et la condamnation définitive de l'intéressé (voir mon article du 4 mai 2017). Au grand scandale d'une majorité d'Argentins, cette loi vient d'être relancée par une récente décision de la Cour suprême sur une demande que lui avait adressée un criminel de la Dictature (de toute façon déjà sorti de prison). Le gouvernement avait dû faire voter en toute hâte une loi rectificative permettant d'exclure ces coupables de crime contre l'humanité du bénéfice des remises de peine. (3) Même s'il existe des situations nettement pires sur le sous-continent ! (4) Elles considèrent rarement dans ces cas-là qu'elles ont pour rôle de garantir la sécurité des manifestants et des autres usagers de l'espace public comme ce devrait être le cas dans un Etat de droit de plus longue tradition. (5) Depuis plusieurs années, la composition de ce Conseil est très contestée par de nombreuses ONG puisqu'on y a nommé des diplomates représentant des pays qui violent ouvertement les chartes fondamentales des Nations Unies par leur politique pénale, leur politique de non pluralité partisane et/ou syndicale, la condition faite aux femmes ou aux étrangers, la tolérance de formes d'esclavage sur leur territoire, l'intolérance religieuse et autres points de la Déclaration universelle des droits de l'homme. (6) Le mandat actuel de Macri va jusqu'au 9 décembre 2019. 2020 est un chiffre rond. Ce sera aussi le bicentenaire de la mort du juriste Manuel Belgrano, l'un des fondateurs de l'Argentine indépendante, l'un des introducteurs dans le pays des droits de l'homme. Ce sera aussi l'année du deux cent-cinquantième anniversaire de sa naissance... Mauricio Macri ne fait plus mystère depuis plusieurs mois qu'il compte bien se présenter pour se succéder à lui-même.