A l’heure des débats récurrents sur la diversité et l’immigration, l’histoire de Severiano de Heredia est particulièrement intéressante. Tout comme son occultation par la mémoire collective nationale. A cet égard, c’est tout à l’honneur de l’historien Paul Estrade, professeur émérite de l’université de Paris VIII – Saint-Denis, d’exhumer de l’oubli, volontaire ou pas, le parcours de cet homme politique français.
Severiano de Heredia est né en novembre 1836 à La Havane (Cuba) dans une famille de « mulâtres libres ». En 1845, il arrive à Paris en compagnie de sa mère adoptive, Madeleine Godefroy, épouse française de son « parrain » Ignacio Heredia y Campuzano, dont tout semble indiquer qu’il est en fait son père biologique. Le jeune Severiano termine brillamment ses études de rhétorique dans l’institution qui s’appelle alors le Collège Louis-le-Grand. Nous sommes en 1855.
Rentier depuis le décès de son oncle en 1848, qui l’a laissé à l’abri du besoin, Severiano de Heredia entame une carrière de poète et de critique littéraire, avec un certain dilettantisme, et investit ses revenus dans l’immobilier. Il se marie en novembre 1868. Deux ans plus tard, il obtient la nationalité française. L’homme est ambitieux. Il se déclare républicain, partisan de « la décentralisation départementale et communale, de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et de l’instruction universelle. »
En avril 1873, il est élu au Conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes, dans le camp de la majorité républicaine radicale. C’est le seul « homme de couleur » au Conseil. En 1879, après six ans de mandat, c’est la consécration. Severiano de Heredia devient, à 42 ans, président du Conseil municipal de Paris. Soit l’équivalent du maire de Paris aujourd’hui. Il le demeurera pendant six mois, comme c’était l’usage à l’époque dans un système de rotation sophistiqué.
Poursuivant ses ambitions, bénéficiant d’amitiés politiques et dans la franc-maçonnerie, le Franco-cubain est élu député du XVIIe arrondissement de Paris en août 1881. Il assumera deux mandats. L’un sous l’étiquette de l’Union républicaine, le suivant sous celui de la Gauche radicale. Dans sa biographie, Paul Estrade note que la participation du député aux travaux parlementaires « a été prolixe et sans éclipses », en particulier sur les questions économiques et sociales ainsi que sur les questions budgétaires et municipales. Pour une courte période, de mai à décembre 1887, Severiano de Heredia sera également ministre des Travaux publics dans le cabinet de Maurice Rouvier. De retour sur les bancs de l’Assemblée, il terminera son mandat en novembre 1889.
Pour autant, cette brillante carrière ne fut pas qu’un long fleuve tranquille. Les préjugés racistes se réveillèrent particulièrement lorsque Severiano de Heredia fut nommé ministre. On lui reprochait moins son action gouvernementale que sa couleur, et il fut affublé de qualificatifs tels que « le nègre du ministère », « nègre roublard aux grosses lippes », « ministre chocolat », et autres joyeusetés. Ce métis appelé aux plus hautes fonctions de l’administration dérangeait, et ce fut tout à son mérite d’avoir superbement ignoré ces quolibets, ouvrant la voie à d’autres grands serviteurs de l’Etat « de couleur », comme Félix Eboué ou Gaston Monnerville, entre autres. Décédé en février 1901, Severiano de Heredia repose au cimetière parisien des Batignolles.
« Aujourd’hui, pas une rue, pas une salle, aucun lieu public ne porte son nom » déplore cependant Paul Estrade. « Pas de portrait de lui, même pas à l’Hôtel de Ville de Paris qui collectionne, pourtant, portraits et statues de ses anciens maires ; pas de trace de son existence dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, ni dans les ouvrages qui évoquent « ces Noirs qui ont fait la France », etc. Severiano de Heredia a été une victime – je ne sais si centrale ou collatérale – de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la « décolonisation » ».
Paul Estrade, « Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire », et la République, ministre ». Editions Les Indes savantes, juillet 2011, 162 pages, 21 euros.
Descendant d’esclaves né à Cuba, Severiano de Heredia a connu un destin en tout point exceptionnel. Sa vie fut romanesque, épique, prestigieuse et pleine de succès. Pourtant, aussitôt enterré, cet homme noir a été rangé dans les oubliettes de l’histoire. La preuve : plus personne ou presque ne se souvient que Severiano de Heredia a été ministre de notre République et, même, maire de notre capitale, Paris ! Retour sur la vie d’un homme qui a servi la France… mais que notre patrie a préféré renier en raison de la couleur de sa peau.
En 2011, un historien du nom de Paul Estrade, a publié un livre entièrement consacré à cet homme. Son titre : Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire », et la République, ministre. Bizarrement (ou pas) cet ouvrage est passé inaperçu. Dommage, car il expliquait justement pourquoi la France avait préféré tirer un trait sur le souvenir de l’un de ses serviteurs. Extrait :
« Pas de portrait de lui, même pas à l’Hôtel de Ville de Paris qui collectionne, pourtant, portraits et statues de ses anciens maires ; pas de trace de son existence dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, ni dans les ouvrages qui évoquent « ces Noirs qui ont fait la France », etc. Severiano de Heredia a été une victime – je ne sais si centrale ou collatérale – de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la « décolonisation » ».
Heureusement, un premier pas a récemment été fait vers plus de reconnaissance. Le 5 octobre 2015, Anne Hidalgo, successeur de Severiano de Heredia au poste de maire de Paris, a enfin baptisé une rue du nom de ce cet afro-cubain naturalisé français en 1870.
Voici l’image de la plaque (pour info, à l’époque, le maire de Paris était appelé « président du conseil de Paris ».)
Crédit photo : Philippe Triay
Présent pour cette inauguration, Paul Estrade en a profité pour redire l’injustice que la France a fait subir à l’homme honoré ce jour là :
« Severiano de Heredia a été oublié parce que Noir. Sa tombe refermée, l’ex-ministre est aussitôt mis sous le boisseau dans la patrie qu’il avait choisie et servie de façon admirable. Lui, l’étranger né aux colonies, lui, l’étranger descendant d’esclave. La subite dégradation de son image, puis sa disparition totale, ont été la conséquence inéluctable des méfaits du racisme et du colonialisme. La République a été son tremplin, le colonialisme son tombeau. La ville de Paris s’honore de se reconnaître en lui ».
Anne Hidalgo n’a pas dit autre chose, expliquant simplement les raisons de son geste :
« Nous sommes là pour sortir de cet oubli coupable. »
« Cette inauguration est particulièrement adaptée à un moment où notre débat public est occupé par des polémiques qui me semblent indignes de notre modèle de République, à un moment où certains continuent à utiliser le mot race comme une sorte de repoussoir ou comme une manière de trier les gens. »
Pour en savoir plus sur cet homme volontairement oublié, voici sa vie résumée en quelques dates clefs :
8 novembre 1836 : Naît à Cuba de parents de couleurs mais libres.
1846 : Envoyé par son parrain, il arrive en France.
1855 : Il reçoit le grand prix d’honneur du lycée Louis-le-Grand à Paris.
28 septembre 1870 : Il obtient sa naturalisation par décret.
1873 : Entre au conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes (17è arrondissement).
1879 : Devient président du conseil de Paris à 42 ans (équivalent du maire aujourd’hui).
1881 : Entre à la chambre des députés.
30 mai 1887 : Devient ministre des travaux publics (ministère au sein duquel il lutta pour réduire la journée de travail en usine à 10 heures pour les enfants de moins de douze ans).
12 février 1901 : Meurt à son domicile rue de Courcelles après avoir consacré les dernières années de sa vie à la littérature.
La fin de sa carrière politique fut compliquée. Certains expliquent ce déclin par l’exposition universelle de 1886 à Paris. Pour l’occasion, un zoo humain enfermait des gens de couleurs issus des colonies. L’événement avait eu beaucoup de succès et a peut-être changé le regard que pouvaient avoir les Parisiens sur les hommes noirs, aussi brillants soient-ils…
Ls Etats-Unis ont eu un président noir. Il y a plus de cent ans, en terme d’intégration réussie, la France avait fait presque aussi bien. Malheureusement, elle avait aussitôt fait marche arrière… Quel gâchis ! La reconnaissance, pour ne pas dire la réhabilitation, de Severiano de Heredia serait un progrès. Pourvu que notre beau pays s’y intéresse enfin !
Pour aller plus loin, lire l’ouvrage de Paul Estrade : Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire », et la République, ministre.