" Le gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. " (Georges Clemenceau).
Avec un jour de retard, le temps de continuer à faire bouillir la marmite LR, la composition du premier gouvernement d'Édouard Philippe, en CDD de quatre semaines jusqu'au 19 juin 2017, lendemain des élections législatives, a été annoncée par Alexis Kohler, le nouveau Secrétaire Général de l'Élysée, ce mercredi 17 mai 2017 à 15 heures ( liste complète ici).
C'était un exercice très délicat de dosages, tant sur le sexe, la géographie, les origines politiques, les compétences professionnelles, les formations initiales, etc. Finalement, j'aurais tendance à dire qu'il n'y a pas vraiment de "révélation" ou de changement des usages. La formation de ce gouvernement a été faite de la même manière que les précédents sous la Ve République, dans un savant équilibre entre les propositions du Premier Ministre et les impositions du Président de la République.
Le gouvernement est moins resserré qu'annoncé : vingt-trois membres au lieu des quinze annonces. La nomination de ministres d'État n'a rien de révolutionnaire, c'est au contraire une vieille pratique pour anoblir quelques personnalités essentielles au sein d'un gouvernement. Il y en a eu dans tous les gouvernements de la V e République sauf entre 1995 et 2004 et entre 2012 et 2017.
S'il n'y a que quatre anciens ministres dans cette équipe gouvernementale de vingt-trois, il est cependant difficile de dire qu'il incarne vraiment un profond renouvellement, ou, du moins, plus profond à chaque début de mandat présidentiel. Quatre des cinq premiers noms sur la liste ministérielle ont en effet plus de 60 ans, dont deux 69 ans. La moyenne d'âge frôle les 55 ans, ce qui est élevé, alors que la moyenne d'âge des candidats investis par La République En Marche était de 46 ans le 11 mai 2017 (la liste des 511 candidats publiée le 15 mai 2017 a un peu modifié cette moyenne). Il n'y a que trois ministres trentenaires et trois ministres quadragénaires (en comptant Édouard Philippe), alors que trois autres ministres vont bientôt atteindre 70 ans.
Sur la parité, il y a douze hommes pour onze femmes, ce qui est la parité parfaite si l'on exclut le Premier Ministre. Pourtant, il y a comme une petite odeur de duperie dans cet affichage. Comme disait Natacha Polony sur LCI le 16 mai 2017, qu'importe qu'il y ait juste 50% de femmes ou 40%, 45% ou même 55%, pourvu que ce soient les compétences qui motivent les nominations.
À part Sylvie Goulard, bombardée Ministre des Armées (nouvelle appellation et surtout, ancienne appellation du Ministère de la Défense, on redécouvre l'histoire de France, c'est bien), six des sept premiers membres du gouvernement sont des hommes. Aucune femme n'est parmi les trois ministres d'État, ni Premier Ministre. La plupart des femmes ministres proviennent de la "société civile" et n'auront donc aucun poids politique à court terme. Seules Sylvie Goulard, Annick Girardin et Marielle de Sarnez auront du poids politique parmi les onze femmes ministres.
La part belle est faite à l'Europe, et je m'en réjouis.
Sylvie Goulard, l'une des trois énarques de l'équipe (avec Édouard Philippe et Bruno Le Maire) est députée européenne depuis juin 2009 (élue sous l'étiquette du MoDem mais elle n'est pas MoDem dans ce gouvernement, spécifiquement En Marche) et elle fut la collaboratrice de Romano Prodi, Président de la Commission Européenne lors des négociations du TCE. Il ne fait pas beaucoup de doute qu'elle aura à cœur de lancer (relancer si l'on se souvient de la très ancienne Communauté européenne de défense avortée) une politique commune de défense européenne, d'une part, pour que la charge de la défense ne retombe pas sur les seules épaules de la France (et de ses finances), d'autre part, pour compenser l'isolationnisme plus ou moins affiché (avec des signaux contradictoires) du Président américain Donald Trump.
Le titre du Quai d'Orsay, incluant l'Europe aux Affaires étrangères, attribuées à un poids lourd du gouvernement précédent, Jean-Yves Le Drian, a tout pour rassurer, et la présence de sa Ministre déléguée aux Affaires européennes, Marielle de Sarnez, femme de conviction, déterminée, et passionnée par la construction européenne, devrait être prometteuse.
À ma connaissance, aucun membre n'est étiqueté spécifiquement PS (à part peut-être Jean-Yves Le Drian) même si certains (au moins quatre) sont issus du PS mais ont rejoint En Marche très tôt, comme Richard Ferrand (premier ministrable) et Christophe Castaner, qui pourrait maintenant être déçu de n'avoir obtenu qu'un petit Secrétariat d'État, lui qui imaginait un grand portefeuille ministériel. D'autres déçus du macronisme précoce : François Patriat, Benjamin Griveaux (probablement appelé à présider La République En Marche), Daniel Cohn-Bendit, Bertrand Delanoë, Corinne Lepage, François de Rugy, Arnaud Leroy, Anne-Marie Idrac, Jean-Paul Delevoye, etc.
Pourtant, les membres politisés d'origine de gauche (PS ou PRG) sont largement plus nombreux que les autres politisés.
Le MoDem, en toute logique, reçoit deux ministères aux attributions importantes (Justice et Affaires européennes), et est le mouvement de premier plan d'alliance avec La République En Marche.
En revanche, s'il y a bien trois ministres originaires de Les Républicains, le débauchage d'élus LR n'a pas été très large. Certains parlaient de cinq, ou six en comptant le Premier Ministre. Trois individus ont franchi le Rubicon, pas sûr que cela puisse suffire pour faire éclater LR, même si beaucoup de parlementaires LR sont évidemment à préjugé favorable pour ce nouveau gouvernement. Rappelons que bien que membre de l'opposition, Edgar Faure avait donné un préjugé favorable lors de la formation du gouvernement socialo-socialiste de Laurent Fabius en juillet 1984, probablement ébloui par la jeunesse, le talent, l'intelligence et le dynamisme du nouveau Premier Ministre de l'époque, qui lui rappelait sa propre jeunesse.
Cette branche LR macroniste contrôle cependant, avec les deux ministres, Économie d'une part, Action et Comptes publics d'autre part (qui regroupent aussi la Fonction publique), l'ensemble de la politique économique et industrielle de la France et les réformes de l'État ( réduction du nombre de fonctionnaires, etc.).
Pour les réformes techniques sur la santé, le travail, l'éducation, les universités, etc., il y a essentiellement des ministres de la "société civile", c'est-à-dire, qui n'ont pas d'expérience politique mais une grande reconnaissance professionnelle. Si certains sujets provoqueront des réactions passionnées, ces ministres, eux, ne feront donc pas dans la posture mais dans l'action et l'intérêt général, et sans doute, au début, dans la maladresse.
Je reprends maintenant quelques ministres clefs en particulier.
Gérard Colomb : Le doyen du gouvernement n'avait encore jamais été ministre, et a brillé par son absentéisme au Sénat dont il est l'élu depuis des décennies. Parce qu'il est à l'Intérieur, certains journalistes ont voulu le comparer à Gaston Defferre en 1981. Mais François Mitterrand n'avait pas du tout imaginé Place Beauvau pour l'ancien candidat, il lui avait proposé le perchoir, poste honorifique pour couronner sa carrière. C'est Gaston Defferre qui a refusé et voulait être ministre, et surtout, à l'Intérieur pour avoir l'autorité sur les services de police (notamment à Marseille). C'est Laurent Fabius qui l'a aiguillé sur une voie de garage (Plan et Aménagement du Territoire) pour laisser l'Intérieur à un ministre plus jeune (Pierre Joxe). Gérard Collomb est sans doute le symbole du faux renouvellement mis en vitrine par Emmanuel Macron : à 69 ans, il succède à Matthias Fekl, 39 ans, intérimaire très court de la fonction (7 semaines, autant que François Baroin au printemps 2007), toujours aussi anonyme en quittant son ministère qu'en arrivant, et qui pourrait être le fils de son successeur.
Nicolas Hulot : J'ai toujours considéré que l'ancien présentateur vedette devrait s'éloigner des milieux politiques car je pense qu'il n'est pas fait pour cela. J'espère donc me tromper. Pourquoi a-t-il dit oui à Emmanuel Macron alors qu'il a dit non à François Hollande et à Nicolas Sarkozy ? La centrale de Fessenheim sera-t-elle fermée ? L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera-t-il finalement construit ou pas, ou devrons-nous encore attendre un quinquennat pour avoir la réponse ? José Bové, réagissant à la nomination de Nicolas Hulot (qui est un succès pour Emmanuel Macron) a mis en garde ainsi : " Nicolas Hulot n'entre pas au gouvernement pour faire la plante verte. ". On verra donc si sa présence est utile ou pas, s'il n'est qu'une caution médiatique, un prête-nom, ou s'il aura un réel pouvoir d'influence sur les événements. Si sa venue gouvernementale ressemblera à un destin ministériel à la JJSS ou à la Léon Schwartzenberg ou pas (JJSS n'était pas de la "société civile", car il était un élu politique, président du parti radical depus pluseurs années en 1974). On sera vite fixé et peut-être ce ministre poids lourd surprendra-t-il son monde.
François Bayrou : Je me réjouis que François Bayrou soit nommé Ministre d'État. Il a refusé un grand nombre de ministères et même (si l'on le croit), Matignon une ou deux fois, entre 2002 et 2012. En 2012, il pensait sincèrement entrer dans le gouvernement de François Hollande qui, au contraire d'Emmanuel Macron, était resté dans un vieux schéma de gauche plurielle. Néanmoins, François Bayrou convoitait certainement les Affaires étrangères qu'il voulait déjà en mai 1995 (ses actions au sein de l'Internationale démocrate-chrétienne dans les années 1990 lui avaient permis de côtoyer de nombreux chefs d'État et de gouvernement du monde entier). À la Justice, il se méhaignerise : Pierre Méhaignerie, qui voulait les Finances en mars 1993, s'était retrouvé à la Justice dans un Ministère d'État aussi, alors qu'il ne connaissait rien au sujet, lui l'ingénieur agronome, et ce fut son dernier bâton de maréchal pour sa carrière, donné par Édouard Balladur. Place Vendôme, ce n'est pas Matignon, mais François Bayrou peut quand même s'enorgueillir d'avoir maîtrisé son destin, d'être partie prenante (pour une fois) de la victoire présidentielle et permettre à Marielle de Sarnez son entrée au gouvernement, à 66 ans. François Bayrou va s'atteler à la loi sur la moralisation politique, mais son action ne se limitera pas à cette mesure posture, car son ministère ne sera pas de tout repos. Comme numéro quatre du gouvernement, il aura un ascendant politique important dans le débat politique des mois qui s'annoncent.
Bruno Le Maire : C'est le plus gros "poisson" LR attrapé par Emmanuel Macron. Il faut dire que c'était prévisible, puisque Bruno Le Maire avait clairement laissé entendre qu'il était prêt à faire le grand saut. C'est la poursuite du désastre de l'arrivisme. Bruno Le Maire, c'était d'abord un homme d'une très grande intelligence, subtil, littéraire (il sait écrire, c'est assez rare dans la classe politique), modéré, prudent... et puis, lorsqu'il a fait campagne pour la présidence de l'UMP à partir de l'été 2014, et pire encore, lors de la " primaire de la droite et du centre" l'automne 2016 (où il s'est effondré à 2%), il a montré son vrai visage, l'arrivisme, capable de tout pour atteindre le but fixé. Il a droitisé son discours au point de se retrouver sur les mêmes positions que Laurent Wauquiez, et surtout, il a montré un discours creux, celui du jeunisme, celui du renouvellement, le faux, celui d'un énarque dans le système, le même que celui d'Emmanuel Macron mais en moins efficace visiblement. Moins efficace car beaucoup plus démagogique. C'est cette démagogie, employée à contretemps par cet homme de la nuance, qui m'a particulièrement déçu. Aujourd'hui, il saute à pieds joints au centre gauche. Passer de la droite extrême au centre gauche n'est pas gênant pour sa souplesse qui s'appelle arrivisme. Bruno Le Maire voulait Bercy, et il a failli l'avoir le 29 juin 2011, mais François Baroin, au dernier moment, a mieux convaincu Nicolas Sarkozy. Petite revanche personnelle : aujourd'hui, François Baroin est son premier opposant, en tant que chef de file LR aux élections législatives. Il va lui falloir beaucoup d'habileté politique pour expliquer à ses électeurs d'Évreux qu'il est parti à la soupe uniquement pour l'intérêt général...
Jacques Mézard : Également drôle de symbole du renouvellement de la classe politique. Ce sénateur, qu'on verrait plutôt à la Présidence du Sénat que dans un ministère, préside le groupe charnière de centre gauche, le RDSE, ancienne Gauche démocratique qui faisait cohabiter, avant la création de l'UMP, des membres de droite et des membres de gauche (notamment les radicaux). Élu d'une région rurale, il connaît donc bien les enjeux de l'agriculture, et fervent partisan de la construction européenne, il saura négocier à Bruxelles dans le cadre de "marathons"...
Gérald Darmanin : À 34 ans, il est le benjamin des ministres (pas des secrétaires d'État), et a déjà derrière lui une belle carrière politique, député-maire LR de Tourcoing, il avait abandonné son mandat parlementaire pour devenir vice-président du conseil régional des Hauts-de-France, le bras droit de Xavier Bertrand (qui fut pressenti pour Matignon). Il est un "bébé Sarkozy", son porte-parole durant la primaire LR, et a toujours montré des propos mesurés et de bon sens. Son entrée au gouvernement est logique à la fois politiquement et personnellement. Son grand potentiel va donc subir rapidement l'épreuve du feu car ses attributions sont très importantes puisqu'il devient responsable de la politique budgétaire et de la fonction publique.
À part l'arrivée de Nicolas Hulot, la composition du nouveau gouvernement n'a rien de très surprenant. L'équipe rassemble des personnalités très honorables, de grandes compétences. Il n'est pas sûr qu'Édouard Philippe va pouvoir prendre l'ascendant politique sur Gérard Collomb (qui sera très autonome), François Bayrou, Jean-Yves Le Drian et même Sylvie Goulard et Richard Ferrand, deux ministres reliés directement à l'Élysée. En revanche, il aura les coudées franches sur la politique économique et budgétaire, avec deux autres LR à ses côtés. Il faudra alors qu'il explique pourquoi il augmentera la CSG alors qu'il avait fustigé cette mesure il y a quelques jours encore.
La couleur très européenne fait que ce gouvernement, qui n'a d'autre utilité que de mener la campagne des élections législatives, a de quoi rassurer ceux qui, à l'étranger, croyaient que la France hésitait sur sa place dans l'Europe. Non seulement elle entend bien y rester, mais elle entend y prendre le leadership. Pour cela, il faudra encore attendre quelques mois, après les élections législatives françaises ...et allemandes.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 mai 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Édouard Macron : d'abord l'Europe !
Composition du premier gouvernement d'Édouard Philippe (17 mai 2017).
Édouard Philippe, nouveau Premier Ministre.
L'investiture d'Emmanuel Macron (14 mai 2017).
Programme 2017 d'Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Qui sera nommé Premier Ministre en mai et juin 2017 ?
L'élection d'Emmanuel Macron le 7 mai 2017.
Macronités.
Ensemble pour sauver la République.
Débat du second tour du 3 mai 2017.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170517-gouvernement-edouard-philippe-i.html