Voilà 6 ans que la Canadienne n'avait pas sorti de disque. Depuis le triomphal " The Reminder " (2007), la folkeuse a perdu en popularité mais sa créativité et sa qualité d'écriture reste intacte.
Avec " Pleasures ", Feist renoue avec un certain minimalisme folk garage. Des chansons miniatures qui raisonnent comme des instantanés confidentiels que l'on emporte dans sa besace. Façon DIY. Le titre éponyme Pleasures l'attestant : notes de guitare égrenées à l'arrache, hésitantes, chancelante... La basse remet d'équerre derechef. Et soudain Feist casse le rythme avec un ton dédaigneux magnifique. Façon Kurt Cobain. La guitare griffe dans un écrin vicieux. Entre malaise, nausée et cieux plus cléments avec cette montée qui prend aux tripes. Du genre The Do qui vrille en compagnie de Ty Segall.
Le disque lorgne aussi vers un univers coloré, de bric et de broc, aux arrangements parfois foutraques, lo-fi mais pleins de charme comme sur Get Not High, Get Not Low.Un univers sonique façon Jean-Pierre Jeunet, entre fantasmagorie et innocence juvénile. On est à des années lumière du mainstream actuel et ses chansons sous testostérones et cancérisées par l'auto-tune...
Ce " Pleasures " séduit par certaines de ses ossatures maigrelettes. Où silence et méditation irriguent les veines de chansons minimalistes comme Lost Dreams. Comme si The Kills (et donc par filiation le Velvet Underground) s'étaient mis à jouer un folk à la fois acidulé et acide à l'écoute de ces lignes de guitare qui déraillent, qui dissonent et strient une pénombre urbaine qui agit comme une chape de plomb, chape qui prend des allures rose bonbon en fin de chanson. I Wish I Didn't Miss You joue dans le même registre. Une voix d'ange qui embrasse une guitare folk nonchalante. Simple et parfait. Dans la même veine on appréciera Baby Be Simple dont la progression éthérée est d'une beauté désarmante.
Any Party s'avance en cahotant. On pense à Cat Power. Elle et Feist sont très proches dans leur style. Deux joyaux néo-folk. La patte, l'inspiration Patti Smith est évidente. PJ Harvey aussi. Entre timbre désolé et révolté, cette façon de dire " je t'emmerde " avec une classe folle. Une chanson un peu dingue, volontairement malmenée et où les guitares piquent comme des " Zero " vers la terre.
Une des particularités de l'album concerne l'emploi des chœurs comme sur Any Party ou A Man Is Not His Song. Du " fait maison ", sans artifices, façon potes qui passent par là et posent leur voix d'une traite. Un résultat brut qui renforce le charme DIY du disque.
Quelques touches électroniques parsèment la guitare dézinguée de The Wind. Contraste intéressant entre les instruments qui frisent, les vibrations prog et le chant céleste de Feist. A l'image de quelques titres comme The Wind, l'album aurait gagné en densité si certains titres avaient été élagués.
L'élégant et quasi-culte Jarvis Cocker s'invite sur Century. The Kills dans le moteur de ce titre qui sonne post-apocalyptique. Rythme tribal. Guitares désaccordées et vrombissantes. Urgence. Panique. Puis Feist décolle sur un superbe pont aérien. De l'autre côté du mur, Jarvis Cocker appose son texte énigmatique avec ce timbre inimitable de conteur. Un final sépulcral magnifique.
On savourera la folk-jazz-western I'm Not Running Away. Lueurs nocturnes. La basse rebondit tapie dans la pénombre. Une guitare au léger crunch claquète ses notes crasses avec une désinvolture classe. L'ampli Fender est perclus d'échos. Grain vintage parfait. Un violoncelle pleure. Et là Feist envoie de nulle part un pont fantastique qui fusionne indie pop et élucubrations hip hop. Du grand art !
Ce cinquième excellent album de Feist se clôt avec Young Up. Un petit air de doo woop psychédélisé en introduction. La contrebasse feutrée se fait languissante et orageuse. L'orgue est d'humeur timide mais plaintive. Dans la tourmente, Feist rayonne de sa voix vaporeuse et porcelaine. Une chanson suave qui esquisse une valse nocturne. Une jolie manière de se dire au revoir et d'aller dire bonsoir à l'ami Pierrot la Lune.