Je m'imaginais déjà travaillant dans quelque étude de notaire, bureau d'avocat prestigieux ou encore dans une importante entreprise de la "grande ville". Quel changement cela aurait été! Peut-être aurais-je pu être secrétaire de confiance de grand patron, bras droit à qui l'on aurait confié les responsabilités et les dossiers importants.
Mila ne demande pas à ses parents, Mina et Paul Chenay, qui sont près de leurs sous, de lui financer un cursus universitaire. Devenir secrétaire est son rêve, modeste. Mais ils ne l'entendent pas de cette oreille: ils l'envoient en formation chez le chapelier de leur petite ville. Et Aloys Bronck s'avère excellent homme et maître d'apprentissage.
Mila essaie d'abord les différents couvre-chefs: J'avais, paraît-il, une vraie tête à chapeau si bien que chacun, bibi de femme ou borsalino d'homme, me donnait de la prestance et un je-ne-sais-quoi de racé. Je le remarquais bien en m'observant dans le miroir ovale qui trônait sur la coiffeuse où il faisait essayer ses créations à ses clients.
Puis Aloys lui confie la fabrication de chapeaux, mais, comme ce n'est pas sa passion, ses aptitudes sont irrégulières et Mila confie un jour à son patron son voeu d'être secrétaire. Celui-ci veut bien lui faire une avance sur salaire pour s'inscrire à l'école. Toutefois ce sera insuffisant pour l'écolage et il lui faudra s'adresser à ses parents pour le reste.
Mila prend son courage à deux mains et leur fait sa demande. Ses parents refusent et, à l'issue d'une dispute, finissent par jeter Mila dehors, sans ménagement: Je trouvais refuge aussitôt chez ce bon M. Bronck. Il avait une pièce vide qui jouxtait son appartement au premier étage de la boutique. Il me la loua pour une somme dérisoire.
Le métier de chapelier finit par rentrer, mais ce sont les commandes qui ne rentrent plus. Aloys propose alors à Mila de faire un stage à Paris, dans le cinéma. Sa nièce Eva, la fille de sa soeur Adeline, lui a dit que les studios où elle travaille recherchent quelqu'un pour les décors et les costumes. Avec ses économies, il lui paiera le voyage et l'hôtel.
Cette nouvelle vie de stagiaire modiste est à la fois exaltante et exténuante. Mila s'intéresse enfin vraiment au métier: Je prenais plaisir à créer toutes ces parures, à apprendre encore. Le cadre stimulant des studios, l'effervescence ambiante, les personnes si différentes, la participation à un projet commun, tout poussait à se dépasser.
Un jour, Mila apporte des chapeaux dans leurs boîtes sur les lieux du tournage d'un film, l'actrice principale, Karen, étant souffrante, et s'apprête à s'en aller quand l'acteur se retourne: Mon coeur s'emballa et je restai immobile. Il dégageait quelque chose de céleste, jamais je n'avais vu quelqu'un d'aussi charismatique et incontestablement beau.
Pour la scène du bateau, l'acteur, Angel Finley, doit porter un canotier - ce n'est pas son type de chapeau -, mais il demande tout de même à voir l'autre: c'est La capeline écarlate, que la scripte pose sur la tête de Mila, qui a la même taille que Karen et qui doit se placer près d'Angel, sans avoir le temps de regimber, pour des prises de photos avec lui.
Tous les éléments de l'histoire sont dès lors en place pour qu'elle se déroule et que, progressivement, avec beaucoup d'habileté, Manuela Ackermann-Repond, en éclaire les zones d'ombre et fasse apparaître les comportements des personnages sous un autre jour que celui des préjugés que les uns ont à l'égard des autres.
Les parents de Mila, de même qu'Aloys, lui avaient appris à se méfier de l'amour, qu'ils avaient tous l'air de tenir pour dangereux. Sa mère lui disait: L'amour n'amène que des soucis et des désillusions, ce n'est pas lui qui fait bouillir la marmite. Et son père opinait d'un air pincé et la toisait sévèrement. Pourtant Mila, à la fin, pense comme Angel:
Une histoire d'amour est une chose magnifique, une alchimie qui nous dépasse, peu importe avec qui on la vit...
Francis Richard
La Capeline écarlate, Manuela Ackermann-Repond, 176 pages, Slatkine