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Le ciel t'aidera

Publié le 17 mai 2017 par Laurentnoel

Se placer sous le ciel nuageux et s’y attarder pour le dessiner ou le peindre est sans doute à la fois une épreuve et un excellent moyen pour saisir la temporalité de la peinture, l’enjeu de la durée qu’elle représente et sa représentation même. Expérience simple, unique et tellement déroutante que celle de s’asseoir avec son carnet à l’aplomb d’un ciel si chargé qu’il en paraîtrait vertical, de regarder profondément et de commencer une ébauche. On baisse bien vite les yeux vers la page pour suivre son trait et sa touche, puis on les relève pour reprendre l’observation. Et là, plus rien n’existe de la seconde d’avant, plus rien comme tel. On s’aperçoit que le monde avance, que le temps passe. Il alors faut réagir ou abandonner. Reprendre pied, saisir un élément du nouveau ciel qui pourrait s’accrocher à l’ébauche, et l’y accrocher ; ou bien fuir, décamper, éviter (d’aucuns en feraient un cliché pour copier l’image plus tard, et s’éloigner ainsi de la peinture dans un confort sans effort). Non, courage ! On exécute le nouvel agencement du ciel, concentré sur sa page, et on relève une nouvelle fois le regard. Et cela recommence, plus rien n’est là, on est à des lieues des facilités de l’atelier où l’on impose au modèle de se soumettre à l’immobilité… A chaque nouveau regard porté sur les formes, les volumes, les masses, les couleurs, les rythmes, c’est un nouvel égarement, une perte, l’obligation d’un vague recollement, tant bien que mal, une solitude devant le ciel que l’on veut garder mais que le vent et la lumière modifient dans discontinuer, implacablement. Et le peintre, pauvre fou ou idiot ou les deux, qui tenterait d’arrêter ce moment. Aussi vain qu’un fortin de sable devant la marée montante. Alors il renoncerait, non pas à représenter son ciel, mais à figer une image définitive. Il tenterait une autre voie : celle du mouvement et du temps, celle qui lui ferait accepter de prendre des bouts d’observations pris ça et là et ailleurs, de les associer dans son image et d’y ajouter de lui pour que ça tienne, pour que s’installent équilibre et cohérence. Il renoncerait à l’imagerie pour créer un ciel synthétique, plastique, mouvant, issu de plusieurs moments conjugués mais qui dirait bien plus que le ciel : qui dirait le temps, ce qu’il modifie dans la nature et en nous, l’instabilité des éléments et celle du peintre qui, en fin de compte, donnera à sa peinture son statut de peinture, grâce aux va-et-vient entre tentatives et abandons, entre engagements et changements de voies, grâce aux modifications perpétuelles apportées au cours du travail pour un meilleur équilibre, aux mouvements de colères, d’énergies contradictoires et de réactions. Tout cela s’imprime et s’exprime dans l’image pour qu’elle devienne la représentation d’un temps du ciel, ou du temps d’un ciel, et non pas d’un ciel seulement. C’est quand on percevra dans la touche ou le trait les mouvements du peintre luttant contre l’incertitude et l’insatisfaction pour arriver à ses fins de ciel, quand on constatera que ces mouvements perdurent alors que le peintre a cessé de peindre et qu’il s’est éloigné de sa toile, que le ciel sera peinture et temps de la peinture. Au-delà encore, c’est lorsque chaque peinture, quelle qu’elle soit, quel que soit son sujet, bien loin du ciel, dira ce temps et ce mouvement d’avancée du temps que le peintre poursuit comme il peut, qu’elle sera peinture. Pas avant.

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