Même si le score est sans appel (6-0 contre la Thaïlande pour les filles lors des éliminatoires de la Coupe asiatique), ce n’est pas sur le gazon des terrains de foot que les Palestiniens connaissent leurs pires défaites. Sur le tapis vert des négociations au sein de la FIFA, ils viennent de vivre un nouveau revers dans la bataille qui les oppose depuis des années (premier billet sur cette question ici) à la fédération israélienne. Voilà longtemps en effet qu’ils réclament que celle-ci soit sanctionnée parce qu’elle fait participer à son championnat national six équipes basées dans des colonies implantées dans les territoires illégalement occupés depuis 1967. Bien qu’il se soit tenu dans une capitale arabe, Manama au Bahreïn, le dernier congrès de la FIFA a une nouvelle fois botté en touche sur cette question.
Dans l’absolu, la situation ne se présentait pas trop mal pour les Palestiniens : Gianni Infantino, le nouveau patron de la FIFA, se devait de montrer sa différence avec son prédécesseur, le très décrié Sepp Blatter. Sur les questions de corruption en particulier, le mois d’avril avait été riche en événements avec la démission de Richard Lai, le président de la fédération dans l’île de Guam, accusé par les tribunaux nord-américains d’avoir perçu, durant son assez longue carrière il est vrai, pas loin d’un million de dollars en pots-de-vin. Une affaire qui avait entraîné par ricochet la démission du Koweïtien Ahmad Al-Fahad Al-Sabah, un membre de la famille royale, dont la probité n’est guère plus assurée. On pouvait donc espérer des progrès également sur d’autres questions d’éthique.
En prévision du congrès, un des anciens candidats à la présidence de la FIFA, le sud-africain Tokyo Sexwale avait préparé à l’intention du comité ad hoc différentes recommandations par rapport aux réclamations palestiniennes. Israël, qui avait pris les devants en multipliant les pressions diplomatiques, avait écarté toute menace d’exclusion mais il craignait malgré tout de possibles sanctions, à l’issue d’un délai de six mois pour tenter encore de trouver un arrangement. Mais comme le rappelle James Dorsey dans un billet très complet sur la question, le président Abbas, sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres, n’était pas en mesure de se montrer très offensif. Par ailleurs, il ne pouvait pas non plus risquer de perdre trop manifestement la face en se montrant beaucoup moins pugnace, sur une question particulièrement populaire, que l’un de ses rivaux politiques, par ailleurs dirigeant de la fédération palestinienne de football, Jibril Rajoub.
Conscients du danger, les Israéliens avaient préparé le terrain, si l’on peut dire, en lançant une très officieuse et vicieuse campagne médiatique contre l’ancien dirigeant des forces de sécurité reconverti dans le sport. Reprenant le slogan de précédentes campagnes de la FIFA contre le racisme, ils avaient commencé à mettre Jibril Rajoub hors-jeu en l’accusant de racisme. Sous le slogan Kick Terrorism Out of Football, des voix pro-israéliennes réclamaient ainsi l’éviction d’un homme qui depuis des années organisait en toute impunité des tournois de foot en Palestine en l’honneur des terroristes assassins des attentats de Munich !
Une fois de plus, le lobbying des Israéliens s’est révélé particulièrement efficace. La réunion de la FIFA s’est bien tenue à Manama, où sont venus les trois délégués israéliens, en dépit des protestations de la population sur place (article en arabe), relayées par une quinzaine d’organisations locales. Mais, au dernier moment, certains à la FIFA ont déclaré forfait et la discussion de la plainte palestinienne a été retirée de l’ordre du jour. Un coup de fil de Benyamin Netanyahou à Gianni Infantino n’est sans doute pas étranger à cette décision (article en arabe).
Le chemin de croix du football palestinien continue par conséquent, avec, au mieux, un examen lors d’une prochaine réunion en Inde, en octobre. Mais on parle déjà d’une décision reportée à mars 2018, pour ne pas dire ad vitam æternam…
La croix en tant que signe a l’air d’être un sujet particulièrement sensible dans les pays du Golfe (et peut-être ailleurs) car un très célèbre et populaire prédicateur d’obédience wahhabite, Muhammad al-Arifi (voir notamment ici) a fait (une fois de plus) parler de lui en s’adressant directement à la FIFA. Pas pour lui reprocher d’oublier ses bonnes résolutions de probité ainsi que les malheureux Palestiniens, mais pour protester contre le fait que, trop souvent à son goût, on voit des joueurs fêter leurs exploits sur le terrain en multipliant les signes de croix ! Il ne doit pas souvent regarder la chaîne qatarie Bein Sports, parce qu’il saurait que les sportifs musulmans n’hésitent pas, eux non plus, à remercier le ciel en se prosternant, seuls ou collectivement (pour plus de détails, voir ce billet).
Si vous souhaitez prolonger cette question du foot palestinien, je vous renvoie à ces précédents billets :
Scandale à la Fifa en version arabe : la double trahison de Jibril Rajoub.
Manque de fair play : l’unité arabe minée par le foot.
Football en Palestine : un terrain de reconnaissance.
Le foot en Palestine, au risque de l’intifada.
Les grands jouent au foot : sport et politique au Moyen-Orient.
FIFA et fitna (2/2) : Viva Palestine !