Il existe de multiples manières de découvrir Paris, mais l'une des plus plaisantes est proposée par Philippe Lombard dans son récent ouvrage Le Paris de Michel Audiard (Parigramme, 128 pages, 14,90 €). Cet album, abondamment illustré de photographies d'époque, flâne dans les rues que fréquenta le dialoguiste selon trois axes thématiques : sa biographie, les lieux de tournage des films auxquels il collabora et les membres de sa " bande ".
Le XIVe arrondissement, où il naquit et se déroula son enfance, entre le parc Montsouris, la place Denfert-Rochereau et le boulevard Edgar-Quinet, en passant par Alésia, était alors un quartier populaire, avec ses commerces, ses bistrots, ses artisans. Le petit Michel y puisa sa gouaille ; il s'y plaisait au point, selon la légende, de ne s'être aventuré rive droite qu'à l'âge de 17 ans... Avec lui, le lecteur traverse la Seine pour se rendre rue de Maubeuge dans laquelle se trouvait l'entrepôt où il venait s'approvisionner en journaux qu'il livrait à vélo - une passion qui lui fit aussi fréquenter le Vel d'hiv.
Le livre s'attarde ensuite dans Paris occupé, puis libéré (on sait ce qu'Audiard pensait des résistants de la dernière heure...) avant d'aborder les Champs-Elysées où L'Etoile du soir, journal qui allait l'embaucher, avait ses bureaux. Mais l'avenue était aussi le territoire des producteurs de films, des cinémas - notamment le célèbre " Balzac " - et des hôtels luxueux comme le La Trémoille et le Georges V, où Audiard, devenu dialoguiste, s'installa fréquemment pour peaufiner ses répliques et recevoir ses amis.
Au chapitre des lieux de tournage, le parcours s'étend à la place Vendôme, à l'Opéra, aux Halles et, plus inattendu, au XVIe arrondissement (où se situait, dans Le Cave se rebiffe, la maison close dirigée par Bernard Blier). Le voyage se poursuit jusqu'à Courbevoie où les tours commençaient déjà à remplacer les pavillons, et à Meudon où habitait Louis-Ferdinand Céline dont Audiard était un fervent lecteur, non sans avoir prévu quelques haltes intermédiaires dans les brasseries et les bistrots parisiens qu'il fréquentait.
D'autres endroits apparaissent, au gré des films (comme l'église Saint-Germain-de-Charonne, théâtre de la scène finale des Tontons flingueurs), des acteurs, des réalisateurs, des amis. Leurs sont attachées des anecdotes savoureuses, insolites. L'auteur émaille en effet son texte d'un florilège de répliques-cultes, mais aussi de bons mots. Ainsi, cette exécution en règle de François Truffaut par un Audiard délicieusement vengeur :
" Charmant garçon. À peine avait-il enfilé son smoking de festivalier que M. Truffaut n'a eu de cesse que l'on sache qu'il avait fait un stage en maison de redressement. "J'suis un insoumis, un terrible." Un œil sur le manuel du petit anar et l'autre accroché sur la Centrale catholique, une main crispée vers l'avenir et l'autre masquant son nœud papillon, M. Truffaut aimerait persuader les clients du Fouquet's qu'il est un individu dangereux. Ça fait rigoler les connaisseurs, mais ça impressionne le pauvre Éric Rohmer. "
Les passionnés ne seront pas déçus, les autres découvriront un Paris en grande partie disparu : " toute une époque ! "
Signaler ce contenu comme inappropriéÀ propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008
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