Nous étions ce matin d’après "Folcoche" dans les turbulences de la conversation d’hier où, légitimé par la récente lecture de "Vipère au poing", il ramenât sa fraise. Mais là: Caramba! Encore raté. La version visuelle de Pierre Cardinal ne correspondait pas à son récit. Dans la foulée le copain Vince en rajoutât : « hé, les gars, il a même pas la télé ! » en oubliant le n’ de la forme négative. L’absence de télé qu’il avait remarquée à l’occasion d’une invitation, devint une affaire de plus s’ajoutant aux coupes de cheveux de la mère qui économisait sur tout et surtout le coiffeur, aux voitures en panne, aux lunettes cassées et aux culottes courtes. Elle résonnât bruyamment dans le cœur faible du minot et se répandit comme une traînée de poudre dans la cour des grands. La télé était un signe de modernisme et de richesse, son absence transformait le logement en une masure insalubre et ses locataires en minables. Ce fut une autre année dans la marge et encore de la honte! Sans compter cette forfaiture de la vie qui créditait ses affabulations de Tartarin en soustrayant sa sincérité de lecteur. Un coup à détester Bazin. Trop injuste ! Caliméro allait avoir un boulevard devant lui. En 1967 Il y a bien aussi ce futur président de la régie de quartier, camarade de classe, scolaire mais pas sociale, jouant dans la réserve de l’épicerie de la rue Arago, en attendant la fermeture qui pourrait jouer le Vince d’aujourd’hui et dénoncer l’illégitime chômeur de maintenant candidat post pénultième à sa succession Après tout, il y a peu de chance que le fils de l’épicier reconnaisse le fils du soudeur attendant la fermeture dans la voiture que sa mère quémande en l’absence de témoins, les provisions à crédit pour le repas du soir, histoire de bouffer un truc en attendant la paye. Il me faut vous remercier d’avoir consacré quelques minutes à ce personnage dans le ventre mou de l’anonymat. Je vous propose Madame, Monsieur d’en finir… Refusant l’immobilisme de Lao Tseu, j’avais donc remonté la rivière jusqu’au partage des eaux, au seuil de Naurouze sans rencontrer le cadavre de cet ennemi personnel promis par le sage. Sans doute avais-je raté ces retrouvailles en conséquence d’un bref assoupissement- un chemin blanc mystérieux gravi dans un rayon de lune où je vis "passer le diable dans son landau aux lampes de cuivre" -.Parvenu à la source les eaux de la fontaine de la Grave, située sur la ligne de faîte, entre le versant océanique et le versant méditerranéen, se divisent en deux ruisseaux coulant l'un vers la Garonne, l'autre vers l'Aude. J’optais pour notre chère Garonne et repris conventionnellement le chemin dans le sens du courant, comme tout le monde. …Et de boire le calice jusqu’à la lie : J’ai laissé un court instant la parole à Nicolas Bouvier qui dit mieux que moi que le carrosse était une vieille Saxo et que le rayon de lune éclairait un visage ravi de diablesse au regard humide tandis que je relevais mon pantalon. Je repris le droit chemin, plus bas à Saint Nicolas de la Grave à la confluence du Tarn et de la Garonne où des braseros, au loin vers Moissac, réchauffaient les rangs de pruniers pour défendre les bourgeons et mes instincts primaires contre les gelées tardives. Désormais convaincu d’avoir fait le bon choix, je couru à perdre haleine de longues années le long de la rivière complétant le fleuve s’achevant dans la mer, et c’est bien avant l’estuaire, là, au port de Bacalan, qu’enfin je le vis. Méconnaissable ! Le Mascaret l’avait drossé contre l’enrochement du Pont de Pierre et déposé un peu moisi plus au nord, dans les roseaux. Sans cela, durant mon détour du droit chemin, il aurait poursuivi sa route vers l’océan et nous n’aurions pas été présentés. Une médaille gravée d'un nom autour du cou ainsi qu’un tatouage sur le torse "Vanitas, vanitatum"et "omnia vanitas" dans le dos, me permirent d’identifier…….
….le corps de mon pire ennemi, sa majesté Moi !