Cela fait quelques mois que je vois régulièrement passer ce panneau sur Internet. Apparemment, d’origine portugaise, il aurait été traduit en suédois, avant d’être internationalisé, notamment en français. Cela montre l’intérêt de la question abordée, à savoir la part de responsabilité dans l’éducation respectivement des parents et de l’école. En France, il y a par ailleurs depuis longtemps un débat entre les missions d’éducation et d’instruction. Soyons clairs : pour moi, ce panneau a tout faux.
J’ai hésité à écrire « tout faux » en majuscules dont les réalisateurs du panneau semblent – à tort – très friands. Mais bon, ne soyons pas (trop) mesquins !
Tous les apprentissages cités comme devant être réalisés « à la maison » ont effectivement celle-ci comme première source d’apprentissage. Et il est vrai que malheureusement ces apprentissages familiaux souffrent parfois de quelques déficiences. Aujourd’hui plus qu’hier ? Sans doute, même si cela resterait à prouver. Mais ces apprentissages fondamentaux n’ont jamais été l’apanage de la famille. L’école – déjà du temps de Socrate – a toujours visé le développement de ces comportements sociaux. Non pas pour se substituer aux familles, mais parce que ces apprentissages, appelés dans le jargon pédagogique des « savoir-être », sont tellement complexes et fondamentaux qu’il faut bien que tout le monde s’y mette pour espérer que le maximum d’enfants les maîtrisent. Finalement, ce sont aussi ces apprentissages qui feront, notamment, que l’enfant deviendra un citoyen libre, engagé et responsable. Nous avons tous connu, sous une forme ou une autre, des « points de conduite » portant sur notre politesse, notre ponctualité, notre respect des autres et de l’ambiance de travail, etc. Cette « évaluation du comportement » est globalement acceptée par tout le monde. Elle pose des problèmes éthiques et méthodologiques importants que j’ai traités par ailleurs. Mais elle montre de toute évidence l’importance majeure que l’école apporte – et doit apporter – au développement de comportements sains, respectueux et responsables.
De son côté, l’école se consacre bien évidemment aussi aux apprentissages « cognitifs », qui sont eux aussi des « mots magiques » : les mathématiques, les langues, les sciences tant humaines que naturelles ou exactes, à l’éducation physique, etc. C’est sans doute sa fonction première. Oui, l’école « instruit ». Mais elle n’est pas seule à le faire. Imagine-t-on des parents qui ne stimuleraient pas leurs enfants à marcher et faire des cumulets, à compter les bonbons pour savoir s’il y en aura assez pour tout le monde, à admirer un paysage en expliquant en toute simplicité ce qui en fait sa beauté, à reconnaître et écrire son nom, à communiquer avec ceux qu’on rencontre (même si c’est dans une langue étrangère), à observer et comprendre en termes simples un phénomène scientifique, etc. ? À nouveau, ces apprentissages fondamentaux n’ont jamais été l’apanage de la seule école. Aujourd’hui plus qu’hier, certainement. Car l’émergence d’Internet et tout ce qui l’accompagne ne font que donner à l’enfant une multitude de voies vers les apprentissages de base. Tant l’école que les parents doivent s’en rendre compte : les enfants d’aujourd’hui (et sans doute d’hier) apprennent en réalité bien plus en dehors de l’école et de la famille… Et c’est tant mieux.
Bref, ce panneau qui essaie d’opposer les apprentissages qui seraient réalisés en famille ou à l’école n’a pas de sens. Tous les apprentissages sont toujours et de manière indispensable réalisés tant en famille qu’à l’école, ou ailleurs encore…
Une dernière interpellation : la dernière phrase du panneau déclare sans sourciller qu’il faut partager le message « pour le bien de la nation » ! Alors là, on sombre évidemment en plein délire. Une telle prose est malheureusement celle de l’extrême-droite. Cela explique peut-être l’existence et le succès de ce panneau. On peut s’en inquiéter.