Monsieur Edouard PHILIPPE est alors député !
QUESTION AU GOUVERNEMENT
Edouard Philippe attire l’attention de M. le ministre de l’économie et des finances sur le régime des travaux réalisés dans le cadre des expertises judiciaires auxquelles sont parties des maîtres d’ouvrage publics et notamment des opérations diligentées sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative.
Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction.
Il peut notamment charger un expert de procéder, lors de l’exécution de travaux publics, à toutes constatations relatives à l’état des immeubles susceptibles d’être affectés par des dommages ainsi qu’aux causes et à l’étendue des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de sa mission.
Les demandes présentées en application du présent chapitre sont dispensées du ministère d’avocat si elles se rattachent à des litiges dispensés de ce ministère.
En effet, il est fréquent que l’expert désigné par le tribunal administratif estime nécessaire à ses investigations que certains travaux destructifs, ou certaines prestations de services à caractère probatoire, soient réalisés en vue de faire apparaître la conformité d’un ouvrage avec les règles de l’art ou les stipulations techniques d’un marché.
Il s’interroge sur les conditions dans lesquelles ces travaux et opérations sont soumis au code des marchés publics et sur l’identité du pouvoir adjudicateur compétent pour les attribuer à une entreprise.
Ces travaux, s’ils intéressent un ouvrage public, sont également entrepris à la demande de l’expert en vue de répondre aux besoins du service public de la justice administrative en contribuant à l’administration de la preuve. Les dispositions des articles R. 621-11 du CJA relatifs aux frais, honoraires et débours exposés par l’expert dans le cadre de sa mission paraissent pouvoir s’étendre à la prise en charge de ces travaux et prestations.
Il n’est par ailleurs pas inhabituel que l’expert considère nécessaire à la fiabilité et à la qualité de ses investigations la consultation d’un opérateur économique spécifique aux compétences reconnues.
C’est pourquoi il souhaiterait que lui soit confirmé que de tels travaux et prestations entrent dans le champ d’application du code des marchés publics et, en ce cas, s’il incombe nécessairement au maître d’ouvrage dont le bien fait l’objet de l’expertise, qui d’ailleurs peut ne pas être lui-même à l’initiative de la procédure ayant mené à la désignation de l’expert, de les attribuer dans le respect des dispositions du code applicables à la catégorie de pouvoir adjudicateur à laquelle il appartient.
RÉPONSE DU GOUVERNEMENT
Les contrats conclus à titre onéreux pour répondre aux besoins des pouvoirs adjudicateurs sont des marchés publics au sens de l’article 1er du code des marchés publics. La dévolution d’une mission par un acte unilatéral ne répond en principe pas à la définition du marché public (CJCE, 18 décembre 2007, Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia c/ Adminitracion General del Estado, C-220/06, points 54 et 55).
Doivent ainsi être considérés unilatéraux les actes confiant une prestation à un opérateur économique qui ne peut ni négocier le contenu et les tarifs de sa prestation, ni se libérer de ses engagements.
L’ordonnance par laquelle le juge des référés prescrit une mesure d’expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative (CJA) constitue un acte juridictionnel et non un contrat. Le juge apprécie souverainement l’utilité de la mesure d’expertise et fixe le contenu de la mission de l’expert. Les honoraires de celui-ci sont, quant à eux, taxés par ordonnance du juge.
L’ordonnance de taxe, qui revêt la nature d’un acte administratif (CE, sect. 17 juin 1983, Lassallette, no 24265), peut notamment fixer ces honoraires à un montant inférieur à celui demandé par l’expert (article R. 621-11 du CJA). Ainsi, la prescription de mesures d’expertise et la liquidation des frais et honoraires de l’expert ne résultent pas d’un accord de volonté entre le juge administratif et la personne désignée pour réaliser l’acte exigé, mais d’actes unilatéraux pris par l’autorité juridictionnelle.
Ces actes relèvent du champ d’application du droit de la commande publique. Pour réaliser certains travaux destructifs ou certaines prestations de service à caractère probatoire, l’expert désigné peut avoir besoin de recourir à un tiers n’ayant pas la qualité de sapiteur.
Il peut, à cet effet, directement conclure un contrat avec ce tiers. Seul un contrat conclu par un pouvoir adjudicateur ou par son mandataire pourrait revêtir la nature d’un marché public. Or les personnes privées ne peuvent être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive no 2004/18/CE du 31 mars 2004 et de l’ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005 que dans la mesure où un pouvoir adjudicateur exerce sur elles une influence financière, institutionnelle ou structurelle déterminante.
Tel n’est pas le cas de l’expert judiciaire, dont les rapports avec la juridiction sont organisés par le livre VI du code de justice administrative. En outre, la seule circonstance que l’expert participe à la mission du service public judiciaire ne lui confère pas la qualité de mandataire d’un pouvoir adjudicateur, dès lors que la juridiction n’exerce aucun contrôle sur l’activité de l’expert (voir, pour un raisonnement similaire, CE Ass., avis, 16 mai 2002, req. no 366305).
Dès lors que l’expert ne peut être regardé ni comme un pouvoir adjudicateur ni comme le mandataire d’un tel organisme, les contrats qu’il passe pour les besoins de sa mission ne sont pas soumis au droit de la commande publique. Enfin, lorsqu’en pratique l’expert demande à l’une des parties de confier des missions d’investigation à une entreprise qu’il désigne, le contrat conclu par la partie concernée ne répond pas aux besoins de celle-ci mais aux besoins du service public de la justice.
Or seul un contrat répondant aux besoins propres d’un pouvoir adjudicateur peut être qualifié de marché public (article 1er du code des marchés publics). Par suite, et alors même que la partie qui supporte provisoirement la charge financière de ces mesures d’expertise aurait la qualité de pouvoir adjudicateur, le contrat ne peut être qualifié de marché public.