les murs ont des oreilles mais c'est ailleurs qu'on écoute, les hypothèses et des sons mécaniques, derrière la porte les choses à demi pensées, une expérience discrète d'un si bon poste, un no man's space où tout est mis en perspective et où se découpe l'horizon, passent le jour, l'air et les odeurs. Un portillon plus un œilleton qui bat monotone et qu'un simple coup d'œil fait changer d'allure, une roue libre, la matière tourne et on tourne soi-même tambour battant, on n'y voit goutte avant que l'ensemble ne retrouve ses gonds. Sans paroi aucune ouverture, rien sur mars ni mercure, beaucoup sur la muraille de Chine et si la maison en manque n'importe quel trou fera l'affaire, un seul suffit pour commencer à voir ou entendre des voix, une drôle de rumeur, une basse faible et continue qui forme une belle enfilade, des portes que les rois ne touchent pas mais qu'on peut prendre à sa guise puis se retirer d'un côté ou de l'autre là où se tiennent au bord du sommeil les opérations de l'esprit
un morceau de plafond écaillé et la mouche retournée, fixée à la vitre ou dans la pénombre du couloir, posée sur un abat-jour ou sur la grande marguerite au soleil, elle marche en arrière, plane et pique volontiers du nez avant un orage, essaie tous les styles, c'est une satanée géométrie surtout depuis l'invention des miroirs. Elle ne vole pas comme la chauve-souris, mais à force de le faire hébétée et sans but elle finit toujours par rencontrer un rat sans vie ou une toile arrangée avec grand art. On ne veut quand même pas entendre son âme carrée bourdonner autour de soi et pourtant elle le fait obstinément près des fenêtres et dans l'air vibrant d’une manière parfois d'une autre, une vraie mélodie aussi soutenue que sa curiosité, elle sait tout elle a tout connu, d'un seul coup d'œil électrique le moindre mouvement, les couleurs, l'intensité et la variété du lieu, elle gagne chaque bataille mais à la différence des abeilles elle ignore la guerre civile. Car elle choisit la paix, de bon gré elle partage
la maison, hiberne dans les combles et mange à la même table, certains animaux se nourrissent d'odeurs, elle préfère le lait où elle va si souvent qu'elle y demeure. L'eau belle et claire, le sucre et les déchets lui plaisent autant mais l'huile la tue, il ne faut rien sous-estimer, même la mouche a une rate et une intuition supérieure, elle évite les casseroles en ébullition. Après le repas qui l'a fatiguée, elle fait sa toilette selon sept techniques, c'est une vraie machine domestique, dans un rayon lumineux parce qu'elle aime agir sous les yeux de tous. La nuit, solitaire et aveugle elle se replie et ne bouge plus jusqu'au petit matin, elle dort comme le trèfle ou le mimosa. Cette ombre légère a la vie courte, elle disparaît en hiver mais revient toujours, même tournure même substance, dans un tableau à l'occasion ou sur le plafond écaillé toute retournée
dans les rêves on entend ce que dit la matière en couleur ou pas, l'ombre dessine noir sur blanc, un théâtre invisible et en mouvement sur le mur tout autour, rouge quand le sol s'étire rythmé par les flux et les rebonds, des silhouettes toujours nouvelles et si délicates qu'elles peuvent se confondre avec une feuille ou alors un chien, il a le ton de la maison et la conscience en demi-teinte. Celle qui voit dans la pénombre les coins sombres et les angles morts, un gris plat et sans résonance où se retirent et se mélangent les petits hôtes variés mais déborde vers d'autres nuances frappées par la lumière, de la lampe ou du jour car la couleur n'existe pas, elle reflète seulement comme le miroir qui renvoie bien plus que son contenu, vers le blanc par exemple qui débarrasse de l'obscurité. Aussi blanc qu'un ours des pôles, qu'un linge sec ou un mur sur lequel se peint la fenêtre vidée de tous ses spectacles, ni la ville ni la campagne mais tantôt la lumière tantôt son contraire
Suzanne Doppelt, Vak spectra, éditions P.O.L., 2017, 80 pages, 13€ (sans pagination)
Agenda autour de ce livre :
Le mercredi 31 mai à 19h
Suzanne Doppelt à la galerie Eof
Galerie Eof
15 rue saint Fiacre
Paris 75002
M° Bonne Nouvelle, Grands Boulevards
Le samedi 3 juin à 15h
Suzanne Doppelt au Potager du Roi (Versailles)
Le Potager du Roi
10, rue du Maréchal-Joffre
78000 Versailles
Le samedi 10 juin à 16 heures
Rencontre avec Suzanne Doppelt à la bibliothèque Marguerite Audoux
Bibliothèque Marguerite Audoux
10 rue Portefoin
75003 Paris
01 44 78 55 20