Les saints enfants de Fatima

Publié le 13 mai 2017 par Sylvainrakotoarison

" À un certain moment, le soleil s'arrête, et puis recommence à danser, à tournoyer ; il s'arrête encore une fois, se remet encore une fois à danser, jusqu'au moment, enfin, où il paraît se détacher du ciel, et s'avancer sur nous. Ce fut un instant terrible ! " (témoignage sur le phénomène observé par des dizaines de milliers de personnes le 13 octobre 1917 et déclaré "miracle" le 13 octobre 1930 par l'Église catholique).

Le pape François s'est rendu ces 12 et 13 mai 2017 à Fatima, au Portugal, site du pèlerinage qui célèbre les apparitions de la Vierge Marie. La première apparition a eu lieu il y a exactement un siècle, le 13 mai 1917, en pleine Première Guerre mondiale. Le pape François a canonisé le 13 mai 2017 deux des trois enfants engagés dans ces apparitions, Jacinta et Francisco Marto. Ils avaient été auparavant déclarés vénérables le 13 mai 1989 et furent béatifiés le 13 mai 2000 à Fatima par le pape Jean-Paul II.
On peut dire ce qu'on veut des canonisations et on peut croire ou pas aux miracles ou aux apparitions étranges, mais l'intérêt de cet événement, c'est avant tout de se pencher sur certaines personnes, souvent humbles (la plupart des personnes canonisées ne sont ni célèbres ni aisées), qui, parmi d'autres (beaucoup d'autres personnes sont oubliées), ont apporté leur petite pierre dans l'espérance humaine.
De quoi s'agit-il ? Du petit village de Fatima, au Portugal, à 130 kilomètres au nord de Lisbonne, en pleine campagne, habité par quelques centaines de personnes réparties sur plusieurs dizaines de hameaux. Le Portugal, pays très catholique, était passé le 5 octobre 1910 d'un royaume catholique à une république laïque avec des lois anticléricales qui pouvaient être comparées à celles de la III e République française de l'époque.
Trois personnes ont été concernées par les apparitions. On parle de bergers, mais il vaut mieux parler d'enfants, qui gardaient les moutons (l'école n'était pas obligatoire). La plus âgée était Lucia dos Sanstos, née le 28 mars 1907. Elle avait donc 10 ans. Elle était avec ses deux cousins, Francisco Marto, né le 11 juin 1908 (il avait 8 ans) et sa sœur, Jacinta Marto, née le 11 mars 1910 (elle avait 7 ans).

Les trois enfants avaient déjà vu quelques apparitions, une lueur de forme humaine en 1915 et "l'ange de la Paix" trois fois en 1916 (au printemps, en été et en automne). Lucia, Francisco et Jacinta ont vu ensuite l'apparition d'une " dame toute vêtue de blanc " le dimanche 13 mai 1917 à midi, qui s'adressait à Lucia et qui leur donna rendez-vous chaque mois au même lieu même heure.
La discrétion n'était pas possible avec des enfants et tout le village a su très vite cet étrange phénomène. La mère de Lucia, qui l'adorait, lui en a beaucoup voulu et a cru qu'elle faisait son intéressante, elle l'a insultée pour cela. Le curé lui-même restait très dubitatif et ne voulait pas que l'Église en fût mêlée. C'est souvent le cas des "miracles", l'Église reste très prudente et craint une provocation ou un canular.

Le mois suivant, le 13 juin 1917, la nouvelle apparition a dit à Lucia que ses cousins partiraient bientôt mais qu'elle, restée vivante, devrait étudier, s'instruire, pour témoigner et transmettre aux autres ce qu'elle était en train de vivre. Lors de cette deuxième apparition, plusieurs dizaines de curieux s'étaient joints aux enfants mais n'ont pas pu voir l'apparition, seuls les trois enfants l'ont vue. Les curieux ont vu pourtant que l'arbre sur lequel était perchée la Vierge avait un certain poids et lors du départ de l'apparition, l'arbre était allégé.
Le 13 juillet 1917 (un vendredi), la Vierge est apparue une nouvelle fois aux trois enfants, devant des milliers de curieux qui n'ont rien perçu. Elle leur a demandé de prier tous les jours pour que la guerre s'arrêtât. Elle leur aurait également révélé un secret en trois parties qui ne furent dévoilées que bien plus tard (j'y reviendrai dans un autre article).
Le gouverneur des lieux, anticlérical notoire, agacé par cette agitation religieuse et peu compréhensible, décida d'enfermer les trois enfants lors de la supposée quatrième apparition, le 13 août 1917 et il voulut connaître le secret du mois précédent. Des dizaines de milliers de pèlerins furent au rendez-vous du 13 août 1917, mais rien ne se passa, en l'absence des trois enfants qui furent finalement libérés deux jours plus tard. La Vierge leur est alors apparue le 19 août 1917 dans un pré, sans curieux et leur annonça un miracle prochain pour que les incrédules pussent croire.
Le mois suivant, le 13 septembre 1917, devant une foule encore plus grande, les trois enfants ont pu voir une nouvelle fois l'apparition de la Vierge. Le mois encore suivant, le 13 octobre 1917, alors qu'il pleuvait beaucoup, la foule, complètement trempée, toujours plus nombreuse (entre 50 000 et 100 000 personnes) a vu un "miracle", la pluie s'est arrêtée et le soleil est venu, tourna sur lui-même : " disque opaque tournant dans le ciel " et " jetant des lumières multicolores sur le paysage, les gens et les nuages environnants ", puis se rapprocha même très près du sol pendant une dizaine de minutes avant de revenir à sa place normale. L'apparition annonça à Lucia la fin prochaine de la guerre et lui demanda de construire une chapelle en son honneur.
Le journaliste anticlérical Avelino de Almeida, qui ne croyait pas du tout aux apparitions précédentes, assista cependant à ce "miracle" et publia le 15 octobre 1917 dans son journal "O Século" un article exprimant sa fascination : " On voit l'immense multitude se tourner vers le soleil, qui apparaît au zénith, dégagé de nuages. Il ressemble à une plaque d'argent mat, et il est possible de le fixer sans le moindre effort. Il ne brûle pas les yeux. Il n'aveugle pas. On dirait qu'il se produit une éclipse. Mais voici que s'élève une clameur immense, et ceux qui sont plus près de la foule l'entendent crier "Miracle ! Miracle ! Merveille ! Merveille ! ". (...) Et l'on assiste alors à un spectacle unique et incroyable pour tous ceux qui n'en furent pas témoins. (...) Sous les yeux éblouis de cette foule, dont l'attitude nous transporte aux temps bibliques et qui, pâte d'épouvante et tête nue, regarde l'azur firmament, le soleil trembla ! Le soleil eut des mouvements brusques, jamais vus, et en dehors des lois cosmiques ! Le soleil "se mit à danser" selon l'expression typique des paysans ! (...) Il ne reste maintenant qu'une chose : c'est que des savants nous expliquent, du haut de leur compétence, la macabre danse solaire qui, aujourd'hui à Fatima, a fait jaillir des hosannas de la poitrine des fidèles, et qui, comme me l'affirment les gens dignes de foi, a laissé très impressionnés les libres-penseurs eux-mêmes, ainsi que d'autres personnes sans aucune préoccupation religieuse qui étaient accourues sur cette lande désormais célèbre. ".
Un autre témoin, médecin, affirma : " Non seulement on voyait le soleil tomber du ciel, mais on sentait l'augmentation de la chaleur avec l'approche du soleil, ce qui sécha vite les habits trempés des spectateurs, et donna à tous ceux qui assistèrent l'impression nette de cette fin du monde prédite dans l'Évangile. ".

Le prêtre italien Jean De Marchi, chercheur, a tenté d'enquêter pendant sept années sur ce phénomène et a publié en 1952 son livre "The Immaculate Heart" où il constata : " Les personnes présentes étaient des croyants et des non-croyants, des vieilles dames pieuses et des jeunes hommes rebelles. Des centaines de personnes, de ces deux groupes, ont donné un témoignage formel. Les récits peuvent varier, des impressions ou des détails mineurs être confus, mais aucun, à notre connaissance, n'a directement nié avoir vu le prodige du soleil. ". Jean De Marchi écrivit aussi : " Les ingénieurs qui ont étudié ce cas ont estimé qu'une quantité incroyable d'énergie aurait été nécessaire pour assécher, en quelques minutes, les flaques d'eau qui avaient été formées sur le terrain, comme cela a été signalé par des témoins. ".
Les tentatives d'explication non surnaturelle de ce phénomène vu par des dizaines de milliers de personnes de bonne foi n'ont jamais vraiment abouti de manière convaincante (hallucination collective, permanence rétinienne, etc.). Cependant, si ce phénomène étrange fut observé par des personnes isolées, à une vingtaine de kilomètres des lieux, aucun télescope du même hémisphère nord n'a pu l'observer dans le monde. Certains envisagent, comme origine du phénomène, un parhélie qui est la réflexion et la réfraction du soleil dans les nuages.
Lucia a vu par la suite d'autres apparitions, les 15 juin 1921, 15 décembre 1925, 15 février 1926 et 13 juin 1929. Ses deux cousins, malades (atteints de la grippe espagnole), en virent aussi une en décembre 1918.
Comme beaucoup d'autres, la famille Marto fut victime de la grippe espagnole en 1918 mais a réussi à s'en remettre. Mais ses deux enfants firent une rechute le 23 décembre 1918. Francisco Marto est mort après une longue agonie à 10 ans le 4 avril 1919 (l'apparition lui avait annoncé qu'il allait beaucoup souffrir). Sa sœur Jacinta n'a pas pu assister à son enterrement car elle était elle-même trop malade et atteinte d'une pleurésie purulente, elle est morte après de longues souffrances le 20 février 1920.
Jacinta fut d'abord enterrée dans la ville nouvelle d'Ourem, puis ses restes furent transférés à Fatima le 12 septembre 1935 ; son corps, visible par l'ouverture du cercueil, ne sembla pas s'être décomposé. Ses cendres furent ensuite transférées le 1 er mai 1951dans la basilique de Fatima construite entre temps, et celles de son frère Francisco furent transférées également le 13 mars 1952.
Le procès en béatification de Jacinta et Francisco s'est ouvert en 1946, consacrant cinquante-quatre ans plus tard les deux enfants comme les deux personnes non martyres béatifiées les plus jeunes de l'histoire chrétienne. Leur fête est le 20 février pour Jacinta et 4 avril pour Francisco (dates de leur mort).
Quant à Lucia, elle a vécu longtemps. Elle fit ses études à Porto à partir de 1921 et ensuite, entra dans les ordres. Elle devint carmélite d'abord en Espagne puis au Portugal (en 1946), sous le nom de Sœur Maria Lucia de Jésus et du Cœur Immaculé. Ses premiers vœux ont été faits le 3 octobre 1928 et les vœux perpétuels le 3 octobre 1934, sa profession de carmélite le 31 mai 1949. Sa vie était très stricte avec interdiction d'avoir des conversations avec l'extérieur du couvent. Elle retourna à Fatima avec le pape Paul VI le 13 mai 1967 pour la célébration du cinquantenaire des apparitions.

Sœur Lucia a rédigé six mémoires adressés à son évêque pour apporter le témoignage des apparitions qu'elle a vues, entre 1935 et 1941, en 1989 et en 1993. Elle publia le 31 août 1941 (3 e mémoire) et le 8 décembre 1941 (4 e mémoire) les deux premières parties du secret révélé le 13 juillet 1917.
Le troisième élément du secret fut écrit par Lucia le 3 janvier 1944 et adressé sous enveloppe scellée à son évêque, puis remise au Vatican le 4 avril 1957. Cette enveloppe est arrivée entre les mains du pape Jean XXIII le 17 août 1959, mais il préféra ne pas l'ouvrir, au contraire de son successeur Paul VI qui a lu le texte le 27 mars 1965 en refusant de le publier. Après l'attentat du 13 mai 1981, Jean-Paul II se fit remettre l'enveloppe le 18 juillet 1981 qu'il redonna aux archives secrètes du Vatican le 11 août 1981. Le Vatican publia ce texte le 26 juin 2000 (par le cardinal Tarcisio Bertone) après l'authentification du texte complet par Lucia le 27 avril 2000. L'ancien pape Benoît XVI a dû rompre son silence le 21 mai 2016 pour confirmer que la totalité du message de Lucia avait bien été publiée le 26 juin 2000 sous sa propre supervision en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Le pape Jean-Paul II fut convaincu qu'il a eu sa vie sauve lors de l'attentat du 13 mai 1981 grâce à l'action de Notre-Dame de Fatima. Ce fut pourquoi il alla à Fatima l'année suivante, le 13 mai 1982, accompagné de Lucia, qui y retourna encore avec le même pape le 13 mai 1990 et le 13 mai 2000 pour la béatification de ses deux cousins.
On pourrait se demander pourquoi seuls les cousins ont été béatifiés et maintenant canonisés : tout simplement parce que Lucia était encore vivante. Elle est morte très récemment, à l'âge de 97 ans, le 13 février 2005. C'est assez impressionnant de savoir qu'elle aurait pu témoigner encore récemment, mais ce n'était pas possible d'être devant une caméra car le règlement de sa communauté religieuse l'interdisait.
Le 15 février 2005, le Portugal déclara un jour de deuil national en hommage à Lucia, la campagne des élections législatives qui avaient lieu le 20 février 2005 a même été interrompue pour cette raison. Le 19 février 2006, ses restes ont rejoint ceux de ses deux cousins à Fatima. Le procès en béatification de Lucia fut ouvert le 13 février 2008 par le pape Benoît XVI, sortant de la règle d'attente des cinq ans après la mort avant d'entamer une procédure, comme pour Jean-Paul II (mort quelques semaines après Lucia) et pour Mère Teresa.

Officiellement, le Vatican a reconnu les apparitions le 13 octobre 1930 et a ainsi autorisé le culte de Notre-Dame de Fatima. Sur les lieux des apparitions, à Fatima, la construction de la première chapelle a commencé le 28 avril 1919 sur l'emplacement exact du chêne sur lequel la Vierge est apparue en 1917, et la chapelle fut consacrée le 13 octobre 1921 (elle fut ensuite détruite puis reconstruite).
La construction de l'église Notre-Dame du Rosaire a débuté le 13 mai 1928 et elle fut consacrée le 7 octobre 1953 ; le titre de basilique lui est accordé le 11 novembre 1954 par le pape Pie XII. Une longue colonnade fut construite entre 1949 et 1954. Les lieux furent fréquentés par une foule sans cesse croissante au fil des années. En 1997, il y a eu 4 millions de pèlerins pour le quatre-vingtième anniversaire. Une nouvelle basilique (la basilique de la Sainte-Trinité) fut construite à partir 2004 et consacrée le 12 octobre 2007 pour accueillir 9 000 fidèles (40 000 mètres carré).
Ce centième anniversaire est l'occasion de rappeler que ce pèlerinage à Fatima est une réalité humaine, des rencontres humaines fortes de sens, que ces apparitions furent réelles ou pas. Et cela, depuis un siècle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 mai 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les saints enfants de Fatima.
L'encyclique "Fides et ratio" du 14 septembre 1998.
L'infaillibilité papale.
Pâques.
Le pape Formose.
La tunique d'Argenteuil.
Viens m'aider à aider !
Le pape François, une vie d'espérance.
Hommage à l'abbé Pierre.
Mère Teresa.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Concile Vatican II.
Jean XXIII.
Paul VI.
Jean-Paul II.
Benoît XVI.
Monseigneur Romero.
Sœur Emmanuelle.
Le dalaï-lama.
Jean-Marie Vianney.
Jean-Marie Lustiger.
Albert Decourtray.
Le Pardon.
La Passion.

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170513-fatima.html