Dernier film en date de David Fincher, Gone Girl prend un pas de côté par-rapport à la filmographie du réalisateur américain. Il ne s’agit plus de filmer la dépression morale, réactivée par la crise de 2008, mais les représentations de celle-ci dans les grands médias états-uniens.
Un fait divers – la disparition d’une femme mariée et l’étrange comportement de son époux – révèle la mainmise de l’opinion publique sur le fonctionnement ordinaire de la justice.
{Attention, spoilers en fin d’article}
De l’importance de l’image publique
Nick (Ben Affleck) ne sait pas poser comme il faut. Alors que sa femme Amy (Rosamund Pike) a disparu le matin même, il affiche un sourire niais devant son portrait géant face aux caméras. Aussitôt, on le considère suspect. Après tout, ne pas pleurer sa femme, n’est-ce pas là le signe d’une responsabilité dans sa disparition ?
La grande affaire de Nick ne sera pas de prouver avec des faits établis son innocence, mais de se constituer le rôle médiatique du mari éploré, conforme à la fable familiale socialement acceptée. Face aux présentatrices de talk-shows qui l’accusent en toute absence de preuves, sur la base de simples rumeurs, d’adultère, d’inceste avec sa jumelle Margo (Carrie Coon) et du meurtre de sa femme, seul son jeu d’acteur peut le sauver.
Bien avant les premières mentions de la fameuse « ère de la post-vérité » dans laquelle nous serions entrés avec le Brexit et Trump, Gone Girl nous présente une société américaine rongée par des médias qui usent et abusent des émotions populaires. Au lieu d’enquêter rationnellement, en collectant des faits qui confirment ou infirment la responsabilité de Nick, ils sabordent d’emblée la présomption d’innocence et jugent du Bien et du Mal par leur seul vouloir, au risque d’empiéter sur la justice ordinaire.
C’est donc une véritable critique de l’usage des images qu’entreprend Fincher dans Gone Girl. Et cela se passe au niveau du montage. Alors que les talk-showsse cantonnent dans de classiques champ-contrechamps dans un espace-temps parfaitement défini, le cinéaste travaille subtilement les ellipses, les disparitions, les reconstructions mentales. Est-ce un flash-back que nous voyons, ou un fantasme reconstruit a posteriori ? Par son art de l’absence, le montage révèle la manipulation des images par une subjectivité.
Femme fatale ou misogynie ?
On comprend cependant les accusations de misogynie envers le film à sa sortie. Alors que Nick, gros benêt, semble le dindon de la farce, les femmes qui l’entourent connaissent toutes les mécanismes des images publiques. Autrement dit, elles maîtrisent les apparences, dans le plus pur cliché misogyne.
On pourrait toutefois rétorquer que ce type de personnage reprend le modèle de la femme fatale, chère aux films noirs, dont Gone Girl se nourrit. Perverse, menteuse, séductrice, la femme fatale conduit les hommes à leur perte en flattant leurs désirs les plus secrets. La peur de l’araignée affleure dans toute la seconde partie de Gone Girl.
Mais il est vrai que les deux points de vue sur le couple subissent un traitement inégal. Si Nick et Amy veulent tous deux en finir avec leur couple raté, les moyens de rompre diffèrent. Nick choisit la voie légale du divorce. À l’inverse, Amy préfère refonder le couple à l’aide d’une stratégie perverse : feindre sa disparition, faire accuser Nick du meurtre de sa femme, revenir ensanglantée dans les bras de son époux et lui interdire de ce fait, après l’emballement médiatique de l’affaire, de la quitter. Comme l’araignée, Amy a coincé Nick dans un piège imparable.
Le caractère misogyne de Gone Girltient donc dans la condamnable émancipation d’Amy. Refusant de quitter simplement Nick, elle choisit de lui faire payer cinq années de vie malheureuse en lui infligeant la pire des humiliations. Comme si féminisme ne rimait qu’avec sadisme.
Gone Girl, de David Fincher, 2014Maxime