Võ Nguyên Giáp
Good morning Viêt Nam
Infatigable combattant pour la liberté de la nation vietnamienne et l’avènement des thèses communistes dans l’ancienne Indochine, le général Võ Nguyên Giáp aura livré bataille aux Français, puis contre le corps expéditionnaire américain envoyé au Viêt Nam tout au long de trois interminables décennies. Giap s’affirmera comme un soutien intangible de « l’oncle Hô », Hô Chi Minh, héros de l’indépendance vietnamienne. Soldat autodidacte et organisateur du redouté Viêt Minh, il viendra à bout, au terme d’innombrables sacrifices et d’une logique stratégique implacable quoique parfois contestée, de deux des plus puissantes machines militaires de son temps.
Né en 1912 à An-Xa, cité située dans ce qui se nomme alors la province coloniale française de l’Annam, d’un père mandarin, fonctionnaire de l’administration impériale, et francophile, rien ne destinait Võ Nguyên Giáp à entrer en rébellion. C’est néanmoins ce qui se produit, très tôt, puisque dès l’âge de quatorze ans, le jeune homme rejoint un groupe d’étudiants révolutionnaires. Il effectue ses études de droit au lycée français de Hué, puis à Hanoi, et étudie à ses moments perdus les brillantes campagnes de Bonaparte et du capitaine T. E. Lawrence « d’Arabie », qui exerceront tous deux une influence décisive sur la pensée tactique et stratégique du futur général. Une fois diplômé, Giáp embrasse la carrière d’enseignant, tout en signant par ailleurs quelques articles. En 1939, l’année même où ce courant sera déclaré illégal par les autorités françaises, il adhère au parti communiste Viêt Namien, d’inspiration maoïste, et animé d’un fort sentiment national. Exilé en Chine Populaire pour activités séditieuses, Giáp y fait une rencontre déterminante avec Hô Chi Minh. Durant de longues années, les deux hommes forts de la jeune « Ligue pour l’indépendance du Viêt Nam », préfiguration du Viêt Minh afficheront une parfaite complémentarité.
Evacuation des blessés à Diên Biên Phu
Chasser les français…
En 1940, Võ Nguyên Giáp est de retour en Indochine, mandaté par Hô Chi Minh pour y organiser la guérilla contre l’occupant japonais. C’est au cours des années 1940 que ses convictions marxistes se durcissent. En effet, il tient le pouvoir colonial pour responsable de la mort en détention de sa première épouse, en 1941, puis de l’exécution de sa belle-sœur, guillotinée par l’administration française. L’affaiblissement de la présence française permet à Giáp d’intensifier ses opérations de recrutement, et le 2 septembre 1945, à l’issue de la capitulation allemande puis nippone, Hô Chi Minh proclame l’indépendance du Viêt Nam et sa constitution en république démocratique. Au sein du gouvernement provisoire, Giáp occupe le poste de Ministre de la Défense Nationale. La réaction de la France ne se fait pas attendre, et dès octobre, le général Leclerc, auréolé d’une gloire acquise en combattant l’occupation nazie en métropole, est envoyé à la tête du « Corps expéditionnaire en Extrême-Orient », pour rétablir l’autorité coloniale. Cependant, en dépit de leur expérience au combat, et de campagnes audacieuses, telle l’opération « Léa » en 1947, les Français ne parviennent pas à écraser la rébellion. Dispersant leur 115 000 hommes sur un théâtre vaste comme les deux tiers de la métropole, les troupes françaises subissent de lourdes pertes, et essuient plusieurs défaites retentissantes, qui voient leur point d’orgue avec le siège de Diên Biên Phu*, de novembre 1953 à mai 1954. Epuisée par une guerre impopulaire, livrée contre un adversaire acharné déterminé à obtenir son indépendance et soutenu par la population, la France signe le 20 juillet 1954 les accords de Genève, qui entérinent la partition du pays entre l’état communiste, au Nord du 17° parallèle, et le Viêt Nam du Sud. Toutefois, pour Hô Chi Minh comme pour Giáp, chef d’orchestre de la victoire du Viêt Minh, il ne saurait s’agir d’autre chose que d’une étape, nécessairement provisoire, sur la voie d’un Viêt Nam socialiste définitivement libre et réunifié. Le second acte va pouvoir débuter.
… Puis repousser les américains
A partir de 1956, face au refus du président de la République du Viêt Nam, Ngô Ä�ình Diᝇm, d’organiser des élections, celui qui est désormais officiellement général au sein de la nouvelle ANV (Armée Nord-Vietnamienne) décrète l’insurrection générale dans le Sud. Partout les groupes s’activent avant de semer le chaos dans un état corrompu et inféodé à la puissance américaine, qui dispose alors seulement de quelques centaines de « conseillers militaires » sur le terrain. Avec l’accroissement du mécontentement populaire et des actions de guérilla au cours de la décennie suivante, John Fitzgerald Kennedy prend une décision lourde de conséquence en renforçant de manière constante les forces armées américaines présentes au Viêt Nam. Après son assassinat, c’est son successeur, Lyndon Johnson, qui poursuit dramatiquement cette politique, portant progressivement les effectifs des Etats-Unis à plus d’un demi million d’hommes ! Néanmoins, malgré leur suprématie aérienne totale et leur écrasante puissance de feu, les américains n’enregistrent à leur tour aucun progrès réellement significatif. En 1968, Võ Nguyên Giáp abandonne pour un temps sa prudence légendaire, pour organiser sa campagne la plus cruciale, et la plus controversée : l’offensive du Têt**. Durant la fête traditionnelle du « Têt Nguyen Dau », qui voit la célébration du nouvel an au Viêt Nam et l’établissement d’une trêve jusqu’alors respectée par les deux belligérants, Giáp engage toutes ses forces afin d’emporter la décision. Partout dans le pays, y compris au cœur des villes, le Viêt Cong attaque, essuyant des pertes effroyables lorsque les américains se ressaisissent. Pour bien montrer qu’aucun sanctuaire n’est à l’abri, même l’ambassade US est investie ! Si le carnage est abominable, et bien près de signer l’arrêt de mort d’une rébellion à bout de souffle, la victoire psychologique est totale. Les spectateurs du monde entier, rivés à leur écran de télévision, mesurent à quel point la toute-puissante Amérique s’est fourvoyée dans une impasse militaire. Dès lors, et jusqu’au 30 avril 1975, jour de la chute de Saïgon aux mains de l’ANV et de la capitulation du Sud-Viêt Nam, les troupes américaines se retirent progressivement, puis totalement. Bien que Giáp n’ait pas personnellement commandé cette ultime offensive, il va sans dire que les forces qui arrachèrent la victoire, au prix de tant de sacrifices, étaient celles qu’il avait créées, et organisées pour la majeure partie. La guerre du Viêt Nam prend fin sur une véritable hécatombe, dont le Viêt Minh porte incontestablement sa part de responsabilité. Elle aura coûté la vie à plus de quatre millions de civils, un million de combattants communistes, 250 000 soldats sud-vietnamiens, et plus de 50 000 américains.
Entrée des chars de l'ANV à Saïgon - photo : Desmond Boylan/Reuters
Le général Võ Nguyên Giáp demeure l’un de ces cas rares et fascinants de l’histoire qui, à l’instar d’un Cromwell, jouèrent un rôle de premier plan tout en n’ayant reçu aucune formation militaire. Il convient cependant de dépasser le mythe du soldat invaincu en rappelant que Giáp connut quelques revers, comme lorsqu’il abandonna la tactique de guérilla au profit d’une approche conventionnelle dans le delta du Fleuve Rouge en 1951. Il fut également directement responsable de purges sanglantes au sein de l’ANV, lorsqu’il officiait en qualité de commissaire aux armées. Contrairement à une seconde idée reçue, les forces du Front National de Libération, le Viêt Cong, n’avaient rien de paysans armés à la hâte. Bien que manquant de moyens lourds et privées de soutien aérien, elles firent la preuve de leur combativité et disposaient d’un excellent équipement, deux qualités qui firent d’elles l’une des meilleures infanterie légère, sous les ordres avisés de Giáp.
Ce dernier se lia en outre d’un profond respect, réciproque, pour le général Westmoreland, commandant en chef des troupes américaines au Viêt Nam, et plus encore pour le général Raoul Salan, avec qui Giáp eut de nombreux entretiens, et qu’il tenait en haute estime. A l’issue de sa victoire face aux américains, Giáp afficha quelques divergences fâcheuses avec le nouveau pouvoir. Il fut écarté prudemment, et démissionna du poste de ministre de la Défense en 1980, avant d’être exclu du bureau politique du parti communiste en 1982. Après une vie passée à combattre, Võ Nguyên Giáp coule aujourd’hui des jours paisibles à Hanoi. Il ne manque pas de jeter régulièrement un regard éclairé sur l'évolution politique de son pays. Auteur à ses heures, le général Giáp a publié ses mémoires en 2004, et avait signé en 1967 un ouvrage remarquable : Guerre du peuple - Armée du peuple.
Ujisato
* Une carte très bien réalisée de la bataille est disponible page 63 du livre « Les Maîtres de la Guerre », publié chez Gründ par le Général Major Julian Thompson
** Lire à ce sujet l’article consacré à la bataille
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