Tapis Rouge est né à travers des séances d’improvisations entre les jeunes du quartier et le seul comédien de métier du film : Frédéric Landenberg qui joue le rôle de l'éducateur.
Il est vrai que les banlieues sont inspirantes. Je pense par exemple à
Swagger, le film d'Olivier Babinet que j'ai vu au dernier festival Paysages de cinéastes et qui dressait le portrait d'une dizaine de collégiens d'Aulnay-sous-Bois.Mais qu'on ne s'y trompe pas Tapis rouge ce n'est pas un documentaire. C'est un vrai film qui raconte l'histoire d'une bande de jeunes qui veulent faire un film et qui vont solliciter l'aide d'un éducateur de rue qu'ils rencontrent tous les jours dans leur cité. Ils ne pouvaient mieux tomber puisque c'est un ancien comédien. Il connait les ficelles, dealera des tunes pour financer le projet, et les aider à avoir un comportement adéquat pour franchir les étapes : pitch, en respectant la nécessité de fictionner la réalité et inversement pour en venir au scénario, puis le court-métrage ... avant le grand plongeon sur la Croisette pour tenter de convaincre un producteur de financer le long ... métrage.
Le talent du réalisateur est d'avoir fait une fiction aux airs de documentaire qui sonne juste en reprenant les codes du road-movie, offrant en bonus "leur" court-métrage, Né pour mourir, qui lui intègre les codes du western, mais je n'en dirai pas plus sur ce supplément.
Réalisé en 2013, le film a été présenté dans des festivals avant de finalement connaître une sortie française aux approches du festival de Cannes le 10 mai prochain. Il collectionne les récompenses : Prix TV5 Monde au Festival Tous Ecrans, Prix du public au Festival de Mâcon, Prix du public aux Journées de Soleure 2015, Grand Prix au Festival de Nador, Meilleur réalisateur au Festival de Chelsea, Prix du public au Festival de Delémont... Ce fut le film sélectionné pour la Tournée Cinéma Equitable 2017, avec 15 avant-premières partout en France.
Dans Tapis Rouge, on parle dans le vide, on hausse le ton en couvrant la voix du copain à la limite de la cacophonie. On crie pour communiquer, on raconte des conneries, on ment. Ils ne s'écoutent pas et pourtant ils visent un succès collectif. On les voit tirer la tronche comme se fendre la bille. Ça créera des liens entre eux et à la fin, les confidences viendront spontanément.Mais au début du film les clichés sont respectés au mot près : On a une putain d'occasion. Tout le monde est blindé à Cannes, on va se faire de l'oseille. Ils sont animés de l'espoir insensé de toucher un pactole en faisant un film parce que, selon eux, ce n'est pas sorcier.
Tous les déterminants des cités sont présents : une balançoire sur une pelouse déserte ; la tentation de sauter dans le vide quand on a perdu tout espoir ; les contrôles au faciès par des policiers hésitant entre le terme de black et celui de noir ; les soucis entre frères d'une même famille ; la mère absente, sans doute en prison, de discrètes tentatives de drague par des jeunes qui ne savent pas comment aborder une fille ...; un peu de misogynie ordinaire quand on veut convaincre ces jeunes machos de faire la cuisine ; une séance improvisée de hip hop ...
Le réalisateur a fait moisson de situations peu surprenantes mais sa manière de cadrer les visages en plans serrés, d'employer la surexposition pour susciter l'émotion (le directeur de la photographie, Joseph Areddy a fait un travail remarquable, ainsi que l'équipe de montage) quand elle peut apporter un répit dans la tension, et le naturel avec lequel s'expriment ces jeunes qui ne sont pas du métier sont tout à fait remarquables.
Leur difficulté à suivre un parcours de visite culturelle est touchante, même s'il s'agit du Palais Idéal du Facteur Cheval (à Hauterives, dans la Drôme), qui n'est pourtant pas un artiste classique, loin de là, ramassant des débris avec sa brouette. Son message de réunification des peuples ne passe pas facilement. L'endroit serait plus propice à devenir un terrain de jeux et les voilà qui se poursuivent sur la musique de Let's get started de Sumo (Chiz records 2013). Tout comme leur maladresse à installer la tente collective sans plan de montage. Ils n'ont manifestement jamais campé.
Le personnage de l'éducateur est lui aussi bien pensé. Sa fonction semble consister à constamment mettre les choses au clair. Il doit gérer toutes les situations, la perte d'un gosse de 14 ans au milieu de nulle part, des problèmes d'itinéraire, la fatigue d'heures de conduite, le manque de respect, les insultes au premier énervement. Un souci chasse l'autre : les jeunes ont peur d'avoir perdu le scénario. On sent la pression qui s'exerce sur lui avec des superpositions d'images correspondant à la scène de tentative de suicide du début. On entend Stormy Weather du Golden Gate Quartet, nostalgique et jazzy, alors que le bus trace la route, métaphore du parcours d'aventure que doit suivre l'éducateur. On lit la tension sur son visage surexposé.
Les violons dominent alors la musique avant de passer au rap. Un resto (hors budget), le Café du palais à Aix-en-Provence va remettre tout le monde d'accord. Les excuses arrivent ... Les dialogues sonnent juste. Je me suis un peu emballé. Comme t'es éducateur tu te sens obligé de nous éduquer.
Parfois j'en ai juste ras le bol répond celui qui est lui aussi ... en attente de reconnaissance.
Melissa, la stagiaire qu'il a recrutée au début, et dont la fonction relève plus de l'observation que de l'action, est malgré tout assez déterminante. Parce que c'est une femme, qu'elle est black, très belle, charmante, douce mais volontaire (elle impose le vouvoiement) et qu'elle ne vient pas elle-même de la cité. Elle se trouve donc en position de rhéostat, limitant par sa simple présence les interactions agressives. Elle permet, par ses questions naïves, à l'éducateur d'avoir l'occasion de préciser comment il parvient à exercer la médiation avec art : J'ai ta parole ? Alors on tchèque !
Les cris de joie explosent sous le panneau indicateur Cannes. Le scénario est retrouvé sur une clé USB. Il pleut mais le soleil est dans les cœurs. Né pour mourir, écrit d'après une idée originale de Jaimerose va pouvoir être imprimé. La suite dira si la vie est belle ou pourrie.
Ils se lancent à l'assaut des producteurs potentiels par groupe de trois, récitant leur pitch à l'arrache, posant pour des photos et distribuant leur scénario à ceux qui s'intéressent à leur projet. L'éducateur veille, toujours attentif, mais d'un peu plus loin. Bientôt ils joueront au foot sur le sable comme des gamins qu'ils sont encore alors que les violons annoncent le générique de fin.Touchant, jamais énervant, le film ne sublime pas la vie du ghetto, n'excuser pas le déterminisme social, mais trouve un équilibre juste dans le partage des responsabilités. Les comédiens amateurs sont criants de vérité, touchant au plus près les stéréotypes qu’ils doivent incarner pour mieux faire ressortir la douleur dissimulée sous leur travestissement. Tapis rouge marque le succès de l’espoir, de la persévérance et surtout du collectif. Le film devient ainsi une leçon potentielle de bonheur.
Tapis Rouge, en salle le 10 mai 2017Durée : 105 minutes (90’ + 15’ de court métrage)Nationalité : SuisseRéalisation : Frédéric Baillif, Kantarama GahigiriScénario : Frédéric Baillif, Kantarama Gahigiri, Frédéric LandenbergInterprètes : Frédéric Landenberg, Jaimerose Amidouz Awazi, Mélissa Haguma, Marlon Ali Lattion, Emmanuel Rivolet, Sébastien Lopez Buanga, Joël Gerber, Yusuf Ali, Marcel NdalaDirecteur de la photographie : Joseph AreddyMontage : Dorian Tabone, Gabriel Bonnefoy, Fred BaillifDistributeur France : Wayna Pitch