" L' être africain subsaharien qui va entrer dans le futur est un être transformé, et il faut qu'il fasse la paix avec cette transformation. Il faut qu'il fasse la paix avec le fait qu'une part de lui vienne de ses oppresseurs. C'est avec cela qu'ils sont en lutte, c'est cela qu'ils doivent accepter. L'Afrique s'appelle l'Afrique parce que les Européens l'ont décidé ainsi. Nous sommes des Africains et des Noirs parce que d'autres nous ont définis ainsi. Je comprends la mélancolie, mais je la veux porteuse de créativité...
J'indique les éléments problématiques dans les termes que nous employons. J'aimerais que l'on sorte des catégories raciales : que pourrait-on dire à la place de "blancs" et "noirs" ? "Métissage" est un terme racialisant, et même animalier. Je préfère parler "d'identité frontalière" en définissant la frontière non pas comme un lieu de rupture, mais comme un lieu de médiation. En Afrique, la frontière se pensait autrefois comme un lieu où les populations échangeaient...
Je pense qu'un pays ne peut pas s'appeler "Côte d'Ivoire". Ni "Cameroun", qui vient du portugais "Camaro", qui signifie "crevette". Un pays ne peut pas s'appeler "crevette". Lorsque les navigateurs portugais sont entrés dans l'estuaire du Wouri, le fleuve qui traverse Douala, c'était une année exceptionnelle en écrevisses, voilà pourquoi le pays a été baptisé crevette ! Ce n'est pas pour rien que Thomas Sankara a rebaptisé son pays le Burkina Faso. Le Ghana a cessé de s'appeler "Côte de l'Or". Et pourquoi l'Afrique du Sud s'appelle ainsi ? Ce pays n'a pas de nom, vous imaginez un pays qui s'appellerait Europe du Sud ? ...
Léonora Miano, extrait d'un entretien pour le magazine Transfuge n°101, septembre 2016