Trois moments dans la vie d’Alexandre, un homme de notre temps, héritier des guerres du siècle précédent, plongé dans celle du vingt-et-unième, cherchant son chemin, le moyen de résister au destin qui lui semble imposé.
Au début, c’est à sa propre enfance qu’il est confronté. L’espace n’est matérialisé que par les lumières. Un homme, deux femmes, et la femme du désert, une souffrance qui essaie de trouver une échappatoire dans les chiffres dont la portée s’éclairera à la fin, et dans des lettres, N et Q, désignant des astres, soulignant un désastre annoncé. Puisqu’il est question d’astres, on pourrait aussi parler de sidération, la révélation n’aboutissant qu’à la fin d’un long parcours, dans la lumière qui s’inscrit à l’avant-scène, Alexandre assumant tout l’arrière-plan dont nous avons vu le déroulement.
Dans la deuxième pièce de la trilogie, Alexandre semble être installé dans ce qu’on pourrait nommer la réussite sociale. Artiste reconnu, il peint toujours la même femme. À travers elle, c’est une autre qu’il poursuit. Une fois encore, sur le plateau, nous voyons un homme et deux femmes. Cette fois, ces femmes n’ont pas le même âge. La plus jeune n’est que le moyen d’accéder à l’autre, disparue sans laisser d’image qu’en lui-même, image qu’il veut restaurer sur la toile, en vain. Quand il la retrouve, elle est aveugle. Et pour elle, il va réaliser une grande fresque, sa dernière oeuvre peinte. Pour elle dont l’enfance et l’identité ont été volées. Comment aurait-elle pu transmettre l’amour, elle qui a été bercée par le refrain « Vive la mort » ? La croix qui se dessine sur le plateau laisse croire qu’il n’y a pas d’autre issue mais qu’il faut y faire face.
Et c’est Vivre qui conclut la trilogie. Vivre contre tout cela, malgré tout cela. Trouver sa voie, sa voix et cette fois l’homme est seul, assourdi par une explosion. Il n’y a plus d’image à créer, nous sommes dans le présent. Prisonniers quand même de ces récits d’attentats suicide, d’enfants soldats : que deviendront-ils ? Pouvons-nous les sauver ? Alexandre a ses entrées dans les ambassades, il a donc une responsabilité qu’il doit assumer. Apprenons-nous quelque chose de notre enfance ? Nos actes sont-ils dictés par ceux des générations précédentes ? Ne sommes-nous que des héritiers ? La guerre d’Algérie, l’Espagne franquiste hantent l’histoire d’Alexandre. Dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui, il ne fait pas que vouloir réparer, il veut sortir de la tragédie et écrire un avenir possible pour les autres enfances.
J’ai vu ce spectacle, interprété par David Arribe, Laetitia Poulalion, Sophie Stalport, Aïni Iften, Paula Brunet Sancho, Delphine Serina, au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (94)