Liquide, le ciel se mélange à la neige, suit le cours des arêtes, déborde, dévale les pentes en suivant les courbes de terrain, inonde les creux et noie les zones d’ombre.
Lac profond vertical et bleu, la montagne se fend d’une entaille étroite taillée au milieu. Une fente où tu te glisses, les skis parallèles face à la pente à quarante-cinq degrés.
Trois ou quatre heures, cet après-midi-là. C’était un vendredi.
Ensuite, un bloc de roche s’est détaché et il t’a cueilli.
En plein ciel.
Encore un enterrement. J’en ai plein le cul des enterrements. On est tous alignés là en rangs d’oignons, ensemble et tout seuls, le nez dans nos pompes noires, la tête dans nos idées noires, on voudrait bien parler mais pour dire quoi ? Qu’est-ce que tu veux qu’on dise hein ? Que tu étais petit et grand ? Que tu avais mérité le titre de baron de la vanne pourrie et de prince de l’histoire pas drôle ? Que dans le dictionnaire, c’est ta tronche qu’on trouve pour illustrer le mot « têtu » ?
Que tu étais le plus chiant ?
Que tu étais le plus vivant ?
J’ai tous ces mots pliés en quatre au fond de ma poche et un gros sanglot qui clapote au bord de ma gorge. Tous les mots ont déjà été utilisés. Répétés. Rabâchés. Les mots sont épuisés, usés jusqu’à la corde. Effacés avant d’être dits, oubliés avant d’être prononcés, ils sont fatigués d’être lancés en l’air pour retomber dans le vide. Et là, dans la pénombre de cette église qui ressemble à celle de mon enfance, on ferait mieux de les ravaler, les mots, de les enfouir au plus profond de nous-mêmes en attendant que ce fragment de rocher termine enfin sa course au fond de la vallée.
Heureusement, dehors, la neige n’a pas cessé de tomber.