E-commerce en Chine : la ruée vers l’or viendra-t-elle de la campagne ?

Publié le 03 mai 2017 par Pnordey @latelier

Avec un marché de plus en plus important dans les campagnes, les plateformes de e-commerce chinoises sont dès à présent amenées à réinventer leur business model.

Avec un taux de croissance annuel de 43% rien qu’en 2015, le e-commerce reste une institution en Chine. Du point de vue des pays occidentaux, ces chiffres font rêver et donne l’apparence d’une véritable success story. Toutefois, ce marché n’est pas unifié et concerne principalement les zones urbaines. En effet, les régions rurales restent un marché-cible à part où il est difficile d’employer les mêmes business model pour les entreprises souhaitant assurer des ventes en ligne. Mais cette région reste une mine d’or, qui passe pour l’instant trop inaperçue des sites de e-commerce.

Le marché y est bien plus important qu’on ne le penserait : près de 620 millions d’individus vivent dans les campagnes chinoises et 270 millions de citadins sont des travailleurs immigrés de la campagne. Tous sont de potentiels e-shoppers. De récents rapports estiment qu’en 2016 l’achat en ligne dans ce type de régions représenterait déjà plus de 350 millions de yuan, soit 47,8 billions d’euros ! D’ailleurs, 84.41% des ruraux auraient déjà commandé en ligne. Qu’attendent les acteurs du e-commerce ?

  Des contraintes encore très prégnantes  

Le 36ème China Internet Development Statistics Report du CNNIC rappelle qu’historiquement deux freins se posaient aux  e-commerçants dans la conquête des campagnes : un marché-cible peu enclin à consommer en ligne et des services de livraison limités par le manque d’infrastructures. En effet, le marché est annuellement “amputé” par le départ massif des jeunes adultes vers les villes, laissant derrière eux personnes âgées et enfants qui consomment peu en ligne. Du fait d’une vie plutôt sommaire et d’habitudes de consommation conservatrices, l’achat en ligne des seniors reste moindre, quand les plus jeunes, qui sont plus prompts à adopter de nouvelles formes de consommation, voient leurs achats “contrôlés” par leurs parents.

Les coûts de logistique en zones rurales concernant le transport de marchandises sont également un frein : ceux-ci atteignent 5 fois ceux des régions urbaines. De nombreux paniers en ligne sont d’ailleurs abandonnés quand le consommateur vit dans une des nombreuses zones non-desservies par les services de livraison ou tout simplement au vu des frais de port trop élevés. Le souci réside dans le fait que la demande du marché est trop irrégulière et n’invite pas à trouver des solutions pour rendre la circulation dans les zones rurales plus facile. Et c’est aussi pour cette raison que les grands groupes de e-business ne voient pas l’intérêt d’investir dans ce genre de zones.

Mais contre toute attente, les quatre dernières années ont vu se dégager une croissance exponentielle du e-commerce dans les zones rurales. Celle-ci est très certainement corrélée à l’augmentation constante du taux de pénétration global des smartphones en Chine et, du fait, de l’accès internet. Plus précisément, on constate que 780 millions de Chinois utilisent leur mobile pour accéder à internet (soit 57% de la population) et 95% via smartphone. Ceci explique certainement le fait que 77 millions de ruraux ont fait des achats en ligne en 2014.

Si l’on s’appuie sur les chiffres attestant d’une augmentation continue depuis 4 ans, le shopping dans les zones rurales devrait maintenir une courbe ascendante pour les trois prochaines années. Il est même possible que l’écart entre les zones urbaines et rurales se réduise considérablement. Les raisons derrière cette croissance sont déjà nombreuses : arrivée de la couverture haut débit, popularisation des plateformes de e-commerce, augmentation du nombre de points de vente physiques, amélioration de la logistique, multiplication des partenariats avec des artisans et une politique de promotion du e-business par le gouvernement chinois.

Dans un futur proche, les plateformes de e-commerce chinoises pourront non seulement donner accès aux populations rurales à un large éventail de produits industriels et du quotidien, mais des produits agricoles et des matières premières nécessaires à leurs activités s’ajouteront rapidement à la liste.

Alibaba : le pionnier de la vente en zones rurales

Il existe quand même une entreprise qui a su déjà capitaliser sur ce marché particulier, et c’est évidemment Alibaba. Son business model s’appuie tout particulièrement sur les partenariats avec des commerçants locaux qui souhaitent vendre des produits sur tout le territoire et avoir une présence en ligne. C’est derrière ce concept qu’ont été créé les Taobao Villages, qui sont des agglomérats de e-tailers ruraux et qui utilise la marketplace d’Alibaba du même nom pour vendre leurs produits en ligne. Généralement, ce genre de clusters dont, 10 % des familles ont développé leur propre boutique en ligne, dégagent autour de 10 million de yuan par an (soit 1,3 millions d’euros).

En août 2016, il existait 1 311 Taobao Villages répartis dans 18 provinces chinoises. Parmi ces provinces, celles de Zhejiang, Guangdong et Jiangsu sont celles possédant le plus de Taobao Villages. Rien qu’en 2016, 700 millions de colis ont été dispatchés par ces villages.

Taobao shop in rural China   Deux autres concurrents se dressent toutefois contre Alibaba dans le domaine : Suning.com et Jingdong. Ces deux géants du e-commerce ont en effet développé leurs propres boutiques physiques dans les campagnes chinoises par le biais de commerçants locaux. Si Jingdong mise sur des revendeurs et des franchises, Suning.com, lui, tente la combinaison de services en ligne dédiés et de magasins physiques. Le passage du online vers le offline pour ces pure players devrait, d’ailleurs, devenir une tendance à surveiller en Chine dans les 5 prochaines années.

Le e-commerce en zones rurales, lentement mais sûrement

Même si le développement de business en ligne en zones rurales est en pleine croissance, le e-commerce ne représente toutefois pas encore une part importante de son économie et n’en est qu’à ses prémices. Ce qui pourrait être un atout à son développement serait de mettre en lumière le cercle vertueux qui en découle. Les jeunes générations de ces régions devraient en effet être les principaux consommateurs de ce type de services, mais en raison du manque d’opportunités de travail, ils préfèrent toujours se tourner vers les tissus urbains. Face à l’investissement sur le long terme que représente un commerce à la campagne, il paraît plus commode et réaliste de se tourner vers d’autres types d’emplois, voire de se lancer à court terme sur des “ventes pyramidales” pour gagner rapidement de l’argent.

Mais le succès des Taobao Villages pourrait changer la donne. Une étude d’Ali Research montre qu’en moyenne un commerce au sein des Taobao Villages permet la création de 2.8 emplois. En effet, depuis août 2016, ceux-ci sont à l’origine 840 000 nouveaux emplois. Certes, face aux industries traditionnelles qui restent moteur de l’économie des zones rurales, le nombre d’emplois créés par les Taobao Villages peut paraître encore trop juste pour retenir les jeunes actifs. Le gouvernement chinois devra donc y mettre du sien pour promouvoir les plateformes de e-commerce via des subventions.