En accueillant le 1er mars 1903 le championnat national de cross, les bois de Ville-d'Avray et le parc de Saint-Cloud confirment l'implantation en région parisienne d'une discipline en pleine mutation. Avec au rendez-vous plus de 5000 spectateurs et la démonstration d’un champion, Gaston Ragueneau.
L'annonce en 1903 de l'organisation dans le parc de Saint-Cloud du championnat national de cross n'a rien d'une surprise pour ceux, de plus en plus nombreux, qui suivent alors le développement en France des sports athlétiques. Depuis sa première édition quinze ans plus tôt, cette compétition, née sous l'impulsion des grands clubs parisiens, n'a en effet jamais quitté les bois de Meudon et de Ville-d'Avray, attirant au gré des saisons curieux et athlètes sous les frondaisons de Bellevue, Chaville ou dans les allées du parc de la Faisanderie à Saint-Cloud. Ce printemps-là cependant, la course rassemblant les ténors du cross national n'a plus rien à voir avec les joyeuses parties de campagne des années pionnières. "En ces temps primitifs, note Henri Desgrange dans les colonnes de l'Auto du 1er mars 1903, on courait volontiers avec ses godillots et sa tunique de lycéen. Nous n'avions pas encore dégagé l'impressionnante silhouette du coureur à pied, aux mouvements libres et souples dans l'ample culotte; nous ne soupçonnions pas la course à travers bois et nous n'aurions jamais cru possible ce qui va se passer aujourd'hui dans les bois de Ville-d'Avray."
En 1903, l'athlétisme est déjà sorti du petit cercle d'initiés qui l'a vu naître pour partir à la conquête d'un public plus large, et ses premiers champions ont su se frayer un chemin à la une des journaux populaires. Le 1er mars à 10 h, sur la ligne de départ tracée à l'emplacement de l'ancien château de Saint-Cloud, ce sont eux que les connaisseurs cherchent du regard parmi les 309 athlètes engagés. L'un de ces "vigoureux jeunes gens" se distingue tout particulièrement avec sur les épaules le maillot cerclé rouge et blanc de la Société athlétique de Montrouge : Gaston Ragueneau, dont le seul patronyme suffit à enthousiasmer les amateurs. Il a déjà remporté l'épreuve à deux reprises et n'a dès les premiers mètres qu'une idée en tête, récidiver. Avec son plus dangereux rival, Louis Bonniot de Fleurac du Racing club de France, le Montrougien impose d'emblée aux autres concurrents un train d'enfer : dans le sous-bois conduisant au lieu dit de l'Etoile de chasse, les bousculades et les chutes sont nombreuses.
Dans la côte des Jardies menant à Sèvres, Ragueneau devance déjà son adversaire de 150 mètres et le Racingman, au terme de la première boucle du parcours, doit consentir de gros efforts pour limiter les dégâts. Dans son sillage, plusieurs coureurs tentent à leur tour de revenir sur le champion de Montrouge, mais leurs tentatives resteront vaines : au terme des 16 km 400 de l'épreuve, Ragueneau franchit la ligne d'arrivée avec plus de 400 mètres d'avance sur ses concurrents qui, couverts de boue comme lui, ont pour certains d'entre eux payé cher leurs efforts. C'est le cas d'un certain Lebras, dont L'Auto conte la mésaventure le lendemain : "Le petit Lebras, du Stade français, qui était troisième après la première boucle, revenait très bien, lorsqu'au saut d'un ravin profond de 3 mètres il tombait si malheureusement qu'il se tordait la cheville gauche et ne pouvait se relever. Le pauvre garçon qui pleurait à chaudes larmes fut ramené en voiture automobile et un sérieux massage a pu le remettre à peu près en état..." Gaston Ragueneau, lui, bon pied bon œil, n’en est ce jour-là qu’à la moitié d'une série de six victoires dans le cross national, qui ne s’achèvera qu’en 1907.