La tradition attribue à Henry Ford cette fameuse citation justifiant l'exigence pour l'innovateur de s'abstraire de l'existant (du transport, pour ce qui le concernait) : « si on avait demandé aux gens ce qu'ils voulaient, ils auraient demandé des chevaux plus rapides ». Or la nouvelle carte de Mastercard ressemble fort à un cheval plus rapide…
Expérimentée avec Absa Bank et une chaîne de supermarchés en Afrique du Sud, la carte ressemble à n'importe quelle autre, si ce n'est qu'elle intègre un lecteur d'empreinte digitale. Grâce à celui-ci, le porteur peut valider ses opérations non plus en saisissant un code confidentiel mais en passant un doigt sur l'emplacement réservé à cet effet. Bien sûr, l'utilisateur devra au préalable avoir activé le dispositif, dans son agence bancaire, via un enregistrement (chiffré) des caractéristiques de son empreinte.
Selon la communication officielle de Mastercard, les avantages de sa carte sont multiples, combinant notamment une facilité d'usage incomparable, une familiarité et une confiance croissantes des consommateurs vis-à-vis de la biométrie, un niveau de sécurité particulièrement élevé… En réalité, elle donne surtout l'impression d'être une prouesse technologique en recherche d'un vrai cas d'usage. Pour le comprendre, examinons d'un peu plus près la proposition de valeur et le contexte dans lequel elle s'inscrit.
L'argument de la sécurité est tout à fait surprenant de la part de Mastercard car la généralisation de la carte à puce (qui joue un rôle majeur aussi avec sa technologie biométrique) a déjà fortement réduit la fraude sur les paiements de proximité (ce qui explique le déplacement de la criminalité vers le commerce en ligne). Qu'il subsiste une marge de progression dans ce domaine est une certitude incontestable, mais elle n'est certainement pas une cible prioritaire pour les acteurs du paiement aujourd'hui.
La qualité de l'expérience client représente, naturellement, une motivation forte à faire évoluer les moyens de paiement. Il est possible de reconnaître à la carte biométrique un possible bénéfice en la matière, du point de vue du porteur, si toutefois la reconnaissance de l'empreinte est sans défaut. Une adaptation aux transactions sans contact serait encore plus convaincante, mais elle ne sera envisagée qu'ultérieurement. Cependant, ne serait-il pas plus important à l'aube de l'avènement promis des porte-monnaie mobiles de ré-orienter les efforts vers les systèmes futurs plutôt que vers le passé ?
Du point de vue de la démarche, les enseignements à tirer de cet exemple sont doubles. D'une part, il illustre, s'il était nécessaire, les risques d'une approche par la technologie : qu'il soit possible d'implanter un lecteur d'empreinte digitale dans une carte bancaire n'en fait pas automatiquement une bonne idée de solution. D'autre part, il est dangereux pour une entreprise de trop chercher à enrichir ses produits existants : il s'agit de la plus sûre méthode pour gaspiller les rares et précieuses ressources dédiées à l'innovation.